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pas d’y satisfaire! » C’est se tromper d’ailleurs étrangement que de croire que l’art du comédien qui chante soit le même art que celui du comédien qui joue. Une voix d’opéra conserve toujours et partout des intonations musicales auxquelles, dans le dialogue de la Dame Blanche ou de Zampa, peut se faire, à tout prendre, une oreille échauffée par le bruit des violons, mais qui contrarient horriblement l’atmosphère ambiante d’une salle de drame. On a dit que l’oiseau, même quand il marche, laisse apercevoir qu’il a des ailes. Il semble qu’un acteur d’opéra, lorsqu’il parle, n’attende qu’un appel d’orchestre pour s’enlever, et c’est vraisemblablement sous l’empire de cette illusion que les amateurs aristophanesques des troisièmes galeries s’écriaient l’autre soir à la Porte-Saint-Martin en saluant le panache blanc et les bottes à glands d’or de Saint-Gueltas : « Attention là-bas! faites silence, il va chanter! »

S’il y a des drames, la Reine Margot par exemple, qui, toujours repris avec succès, ont finalement prévalu sur le roman d’où ils étaient sortis, Cadio ne sera pas du nombre, et longtemps après que la pièce aura disparu de l’affiche, on relira ce roman pour sa forme éloquente et ses nobles tendances, œuvre de conciliation et d’apaisement, comme il sied au génie d’en écrire au soir de l’existence, et que la mise en scène, avec ses suppressions forcées, ses exigences anti-philosophiques, devait gâter. A Dieu ne plaise que je veuille ici le moins du monde contester à George Sand son droit au théâtre. L’auteur du Marquis de Villemer, de Victorine et de François le Champi n’a pas besoin qu’on lui dise comment il faut s’y prendre. Toutes ces distinctions de genre ne sont bonnes que pour le menu peuple des intelligences. Le génie, quand il se mêle de vouloir à son tour faire du théâtre, ne craint et n’envie personne; toutefois il faut qu’il s’en mêle, et qu’il s’en mêle seul.


F. DE LAGENEVAIS.


Sénac de Meilhan et l’intendance du Hainaut et du Cambrésis sous Louis XVI, par M. Louis Legrand, 1 vol. in-8o; Thorin.


L’ancien régime est séparé de nous par deux générations à peine, cependant il est peu connu, c’est M. de Tocqueville qui le constate. Les hommes qui avaient pu le voir à l’œuvre se sont plus attachés à le détruire qu’à le décrire, et les historiens qui ont les premiers entrepris de nous raconter les causes et les résultats de la révolution de 1789 se sont contentés d’esquisser à grands traits la physionomie de la société française à ce moment solennel. Ces tableaux, forcément un peu sommaires, mais tracés parfois de main de maître, ont suffi pour fixer la signification générale de ce grand mouvement. Il reste aujourd’hui, si l’on veut le bien connaître, une tâche plus obscure et plus ingrate à remplir. Il faut reconstituer l’organisation compliquée de l’ancienne France, analyser ses tendances, dénombrer les résistances sourdes et les forces latentes dont la terrible explosion étonna le monde. Cette nécessité a été parti-