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d’autres bientôt succéderont qui sans doute initieront davantage le public au programme de la nouvelle administration, car évidemment on doit tenir en réserve des spectacles moins surannés que celui auquel nous venons d’assister, et tout ceci ne saurait être que l’avant-scène de ce qui va maintenant se passer. Dans Martha, qui depuis s’est montrée sur l’affiche, l’aînée des deux sœurs Devriès a dit avec un vrai talent le rôle de la servante-duchesse. Combien sont-elles aujourd’hui celles qui en dehors de la Patti chanteraient la cavatine du troisième acte avec cette justesse dans la note et cette précision dans le trait! Et personne n’applaudit, et toute cette voix, tout cet art, se dépensent en pure perte. A quoi tient donc le succès au théâtre? Le Barbier de Rossini s’apprête aussi à faire une galante apparition. Pendant qu’à la place du Châtelet les débuts vont leur train, les jeunes s’essaient à l’Opéra. M. Devoyod, qui s’était, on le sait, d’abord fait remarquer dans le Nélusko de l’Africaine, prend Guillaume Tell, et Mlle Mauduit entre dans Hamlet par la porte que laissait ouverte l’absence de Mme Gueymard, partie en congé de deux mois pour Madrid.

Avoir vingt ans, être la svelte Alice et s’embéguiner dans l’appareil de la reine Gertrude, c’est assurément faire passer son art avant sa coquetterie; d’autre part, et de si bonne grâce que le public se prête au jeu, il lui sera toujours bien difficile d’admettre que Mlle Mauduit puisse être la mère de M. Faure. Aussi la jeune artiste en a tout de suite bravement pris son parti, et sans chercher à se vieillir, à se grimer, sans avoir recours à cette mèche grisonnante dont Rachel jadis fit usage dans Athalie, n’a demandé l’illusion qu’à la dramatique énergie de sa voix et de son talent, et à ce compte elle a vaillamment réussi. Un des plus grands esprits de l’Angleterre contemporaine, démontrant que lady Macbeth doit être blonde et de complexion frêle et délicate, Carlyle, a très ingénieusement ridiculisé ce préjugé de notre ancien théâtre qui ne voulait pour représenter ses héroïnes que des matrones corpulentes. La reine Gertrude avec ses troubles de conscience, ses nocturnes épouvantes, appartient à cette classe d’organisations où le système nerveux prédomine, et rien ne montre que ce rôle impose à l’actrice de si fortes conditions d’embonpoint. Pour traduire Shakspeare, un comédien intelligent vaut tous les commentateurs du monde ; la grande mistress Siddons jouait lady Macbeth en blonde et féminisait le personnage. C’est qu’il ne s’agit point simplement pour une actrice de comprendre un rôle, elle doit encore l’approprier à sa nature, à sa physionomie. De là ces éternelles contradictions entre la théorie et le fait, au bout desquelles il se trouve que tous ont raison, selon la circonstance. Dans cet Hamlet de l’Opéra où chacun tire à soi, où M. Faure représente un prince de tragédie classique à côté de la romantique Nilsson, qui poétiquement se détache en vignette anglaise, Mme Gueymard s’est composé une excellente figure de Clytemnestre bourgeoise qui peut manquer de