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sition au malaise et à l’incrédulité, cette attente toujours trompée ? Nous ne voulons pas aller chercher en ce moment les grandes causes, les causes générales. Il y en a peut-être de plus simples, de plus directes, prises dans la donnée actuelle de choses, et la première, la plus sensible, c’est qu’après une longue expérience, semée de bien des déceptions, l’opinion en est venue à ne plus croire à l’efficacité de l’organisation des forces exécutives telle qu’elle est aujourd’hui. Il manque à cette organisation qui garde toujours l’empreinte d’un gouvernement tout personnel, il manque la lumière, la responsabilité, cette sûreté qui naît d’elle-même quand les personnages publics exercent le pouvoir par la confiance du pays ou des mandataires du pays en même temps que par la délégation du chef de l’état. De là, malgré le talent des hommes, l’affaiblissement de l’autorité ministérielle, réduite d’un côté à se défendre quelquefois contre des influences insaisissables, et de l’autre n’ayant pas sur l’opinion l’ascendant qu’elle devrait avoir, qu’elle aurait naturellement, si elle offrait par elle-même une garantie. Ces vérités si simples font leur chemin, et il y a peu de jours, dans une réunion publique à Saint-Calais, un député de la majorité du corps législatif, M. Haentjens, se trouvant en présence de ces inquiétudes générales qu’aucune parole officielle ne peut dissiper, en venait lui-même comme par une logique naturelle à cette conclusion. Dans sa conviction, l’empereur, éclairé par l’expérience, ne pouvait manquer de reconnaître « que le seul remède possible à ces incessantes inquiétudes, c’était de placer en face des assemblées un ministère responsable qui subirait directement l’influence de la nation. » Et si des membres de la majorité du corps législatif en arrivent eux-mêmes à subir l’empire de cette vérité, il faut bien certainement qu’ils sentent l’impossibilité d’aller plus loin dans cette voie de perpétuelles incertitudes.

Une autre cause de ce malaise qui se manifeste sous tant de formes diverses, c’est que le gouvernement ne s’est peut-être pas rendu compte de l’élan qu’allaient prendre les esprits le jour où ils voyaient se rouvrir une issue vers un régime plus libéral. Les uns et les autres n’ont plus marché du même pas. L’opinion, vivement réveillée, s’est reprise à toutes les espérances libérales, et est devenue plus pressante, plus exigeante même, si l’on veut ; la politique officielle au contraire, après avoir fait acte d’initiative, a semblé hésiter devant son œuvre ; elle s’est arrêtée au moment où elle donnait l’impulsion autour d’elle, elle a semblé plus d’une fois préoccupée de diminuer dans les détails d’exécution des réformes dont elle reconnaissait le principe. Elle a resserré le cercle autour de l’opinion après l’avoir à demi rendue à elle-même. Il en est résulté une disproportion intime, croissante, entre les aspirations des esprits et les actes du gouvernement, entre l’élan de l’opinion et le champ qu’on a ouvert devant elle. De là ce mal de la déception et de