Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

résultât, un peu plus tôt ou un peu plus tard, de la concession demandée une réduction de gain. Lorsqu’il paiera tout en argent, se disait-on, l’acheteur n’aura plus qu’une seule préoccupation, ramener les prix à leur chiffre actuel ; le sacrifice serait dès lors consenti en pure perte. Illusion complète, quoique dérivant d’une apparence spécieuse ! Quand l’acheteur prend un millier de sardines pour un certain prix, il est impossible qu’il en sépare dans sa pensée le supplément payé pour le vin. Qu’il paie avec la main droite et avec la main gauche ou seulement d’une seule main, la dépense reste la même pour lui. Avec le système en vigueur, il est obligé de voir le total, et il fait nécessairement subir d’un côté une réduction équivalente à la surcharge qu’il subit de l’autre. Point de doute possible sur l’intérêt des pêcheurs ; ils ne pouvaient rien perdre. L’institution projetée, en fortifiant leur situation, n’aurait fait que rendre plus difficile un abus comme celui qu’ils redoutaient. Si pour le moment de récentes divisions dans le groupe le plus nombreux, celui de la Turballe, peuvent entraver la reprise du projet, ce n’est pas une raison pour y renoncer. Un jour ou l’autre il reparaîtra, car il répond à la généralité des besoins. C’est une bonne semence qu’on a jetée et qui produira ses fruits.

Jusqu’à présent, l’idée et la pratique de l’aide mutuelle, quand elles se traduisent par des institutions collectives, sont fort éloignées des habitudes de la population. Il suffit d’ouvrir les yeux pour s’en convaincre. Cela n’empêche point que dans les rapports entre parens ou même entre voisins on ne soit disposé à se prêter réciproquement assistance. Les bons exemples en ce genre ne manquent pas. Qu’une circonstance malheureuse vienne mettre un chef de famille dans l’impossibilité de remplir sa tâche habituelle, on s’en charge volontiers pour lui ; on écarte ainsi de sa demeure un dénûment absolu. Un essai qui exigeait l’accord de volontés multiples a même réussi à Guérande pour une institution un peu distincte, il est vrai, des sociétés mutuelles : il s’agit d’une boulangerie commune. L’établissement fonctionne régulièrement depuis près de deux, années. Durant l’année 1867, où le blé a été si cher, il a rendu de réels services. Non-seulement il a pu vendre le pain un peu au-dessous du prix courant, mais encore il a mis moralement obstacle à une surélévation qui n’aurait pas manqué de se produire dans le commerce ordinaire. Il y a bien eu certains mécomptes quant à la constance de quelques-uns des premiers adhérens : il en est qui ont faibli au dernier moment par suite de l’obligation de payer comptant et de renoncer aux facilités de crédit, si coûteuses d’ailleurs, qu’ils trouvaient chez les boulangers. Déjà cependant les résultats obtenus ont ramené plusieurs de ces dis-