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torité patriarcale. S’écartait-on du pays, ce n’était que pour de courtes pérégrinations commerciales dans un rayon de quinze ou vingt lieues; on allait vendre de porte en porte le sel et la sardine. Conduisant devant eux leurs mules infatigables qui faiblissaient au départ sous le poids d’une charge trop pesante, mais à chaque station allégée, ces muletiers connaissaient tous les chemins des campagnes; ils pénétraient jusqu’au moindre hameau, loin des sentiers battus. La plupart arrivaient du Bourg-de-Batz, où l’entente d’un tel négoce peut être regardée comme un don natal. Si le nombre des colporteurs de sel et de sardines a notablement diminué aujourd’hui, si la zone parcourue s’est restreinte, il n’en faut pas conclure que les goûts et les aptitudes aient changé. Les dispositions sont les mêmes, on aime toujours les courses mercantiles; mais il faut céder devant les transformations qui les rendent moins fructueuses. Avec les chemins de fer, le commerce à dos de mulet a vu de jour en jour s’affaiblir ses chances de succès. Jamais ces déplacemens éphémères n’avaient ébranlé l’amour du foyer domestique; mais lorsqu’on a été poussé dans ses derniers retranchemens par la crise du travail, il a bien fallu chercher au dehors les moyens de vivre. On est allé louer ses bras dans les villes voisines, on a pris de nouveaux métiers. Frappante marque des rigueurs subies : à Batz, où l’on répugnait absolument de temps immémorial à la profession de marin, on a vu depuis quelques années un certain nombre de jeunes gens, exilés des marais paternels, demander un refuge à la grande navigation.

Cette population de Batz, issue, dit-on, de quelque rameau de la famille saxonne et jalouse de conserver intacts sa race et son sang, n’admettait point de mariages contractés hors de son sein. Une telle union eût passé pour une mésalliance. L’obligation de se dépayser a forcément fait succéder une certaine tolérance à l’esprit exclusif d’autrefois, sans détruire néanmoins le fond des préférences locales. D’autres témoignages attestent que l’attachement aux coutumes demeure toujours un des traits les plus saillans du caractère local. Quelques usages, legs visibles du paganisme gaulois, s’étaient perpétués presque jusqu’à nos jours. Il y a moins de trois quarts de siècle qu’au Croisic on célébrait encore tous les ans au mois d’août, par des démonstrations grotesques, la fête d’Hirmen, divinité païenne figurée sous la forme d’une pierre à large base érigée près de la mer. Les femmes exécutaient autour de cette pierre une sorte de danse sacrée, et toute fille qui en dansant touchait la pierre était assurée de ne point se marier dans l’année. Voici un exemple très significatif de cette ténacité à observer les pratiques traditionnelles. Il y a près du Croisic une antique chapelle de Saint-Goustan qui, depuis plus de soixante-dix ans.