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vers le détroit, se répara à la hâte à Lisbonne, et passa en Angleterre. Là, on avait cru d’abord à une victoire; on fut détrompé en voyant dans quel état revenait la flotte qui avait combattu à Malaga, et quelques jours plus tard, en pleine chambre des pairs, lord Haversham disait qu’il fallait féliciter l’amiral Rooke sur son heureuse délivrance. Malgré l’inestimable service que l’amiral avait rendu à sa patrie par la prise de Gibraltar et le beau sang-froid dont il avait fait preuve après Malaga, l’Angleterre ne lui pardonna point cette bataille incertaine. Elle préférait déjà se montrer ingrate à se montrer indulgente et n’admettait pas de demi-succès. On ôta la flotte de la Méditerranée à l’amiral Rooke. Il ne servit plus dès lors à la mer; mais il emporta dans sa retraite l’estime et l’affection des hommes les plus intègres et les plus illustres de l’Angleterre. Il mourut à cinquante-huit ans le 24 janvier 1709, et, malgré les hauts commandemens qu’il avait exercés pendant toute sa carrière, ne laissa qu’une fortune assez médiocre. Comme ses amis s’en étonnaient au moment où l’amiral écrivait son testament: « C’est vrai, dit celui-ci, je laisse peu de chose; mais ce peu de chose a été honnêtement gagné, et n’a jamais coûté une larme à un matelot ni une obole à la nation. »

Lorsque le comte de Toulouse revint à Toulon, il n’y trouva ni ressources, ni approvisionnemens, ni rechanges. Néanmoins, ne pouvant se résoudre à laisser tout à fait infructueuse une expédition qui avait coûté tant de sang et tant de peine, il dégarnit ses propres vaisseaux de leurs mâts et de leurs agrès, et parvint à composer à Pointis une escadre de 10 vaisseaux et de 9 frégates avec laquelle celui-ci dut concourir au siège de Gibraltar, qui se continuait par terre. Le comte de Toulouse eût pu faire un meilleur choix. Pointis, aigri par les accusations qui l’avaient poursuivi depuis Carthagène, peu heureux dans son commandement de l’escadre de Flandre, partait avec le pressentiment d’un malheur alors que, pour l’éviter, ce n’eût point été trop de la plus énergique résolution. Les forces qu’on lui donnait étaient d’ailleurs insuffisantes. En partant de Lisbonne, l’amiral Rooke y avait laissé sir John Leake avec 23 vaisseaux pour veiller sur Gibraltar. Ces 23 vaisseaux, réparés dans un port ami, bien approvisionnés, bien commandés, étaient prêts à sortir. Pointis, en apprenant cette nouvelle, alla s’enfermer à Cadix. Il espérait y compléter l’armement de ses vaisseaux; mais les ports d’Espagne étaient encore plus pauvres que ceux de France. Il se vit condamné à l’inaction et eut le tort de s’y résigner.

Ce fut seulement au mois de mars 1705 que, sur les instances réitérées du maréchal de Tessé, il se décida enfin à partir pour Gibraltar avec ses dix vaisseaux. On était prêt à donner l’assaut lorsqu’un orage épouvantable se déclara pendant la nuit. Cinq vaisseaux, sous