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arrivée. Précisément M. de Resson Deschiens était venu mettre à la disposition de Forbin un vaisseau de 50 canons. Le chevalier le monta immédiatement et donna sa petite frégate à M. Deschiens. Dès lors il domina complètement le golfe, empêcha toute communication des impériaux avec leurs villes de secours, enleva deux convois, et brûla, bien qu’il eût une patente de la république, un gros navire vénitien qui allait à Boucari. Quant au vaisseau anglais, après avoir escorté le convoi, il s’était réfugié à Venise, où il avait mouillé dans le port à quatre amarres. Par un clair de lune superbe, Forbin descend avec 50 hommes dans une chaloupe et deux canots, demande à un pêcheur où est le vaisseau en se faisant passer pour une embarcation de service, va droit à lui au milieu de mille petits bâtimens qui le voient faire sans se douter de rien, monte à l’abordage, surprend l’équipage endormi, le massacre ou le fait prisonnier, et se retire en mettant le feu au navire. Peu d’instans après, Venise s’éveillait à la lueur de l’incendie, aux détonations de l’artillerie, qui, toute chargée, envoyait çà et là ses boulets, et à l’explosion du bâtiment lui-même, dont le feu avait gagné les poudres.

Après cette exécution, les Vénitiens se tenant tranquilles, Forbin reprit un projet auquel il avait d’abord pensé, et qui consistait à détruire les ports de l’empereur, généralement dégarnis de troupes et mal fortifiés. Il commença par Trieste, accommoda en galiotes à bombes deux bâtimens qu’il avait pris, et alla reconnaître, en sondant près de la côte, l’endroit où elles seraient le mieux placées. Cette reconnaissance s’exécuta malgré un grand feu de mousqueterie et de canon qui partait des remparts. Presque aussitôt d’ailleurs le feu des vaisseaux français s’ouvrit sur la ville à l’entrée de la nuit, et, à la lueur de l’incendie que les bombes allumaient, on pouvait voir la population s’enfuyant dans les montagnes. Restait sur le môle une batterie barbette de 14 pièces de canon. Craignant d’être attaqué de ce côté, Forbin fit faire de sa chaloupe et de son canot deux demi-lunes flottantes, les couvrit de matelas, les remplit de fusiliers, y descendit lui-même, et, débarquant au môle, qu’il trouva désert, y encloua les canons. L’épouvante qu’il causait dans le golfe était extrême. Ayant envoyé sa chaloupe à Venise pour y porter ses lettres à l’ambassadeur de France, le bruit que lui-même était de retour avec son vaisseau se répandit dans la ville, et le sénat envoya deux de ses membres pour s’en assurer. De Trieste, il se rendit à Fiume; mais avant d’y diriger la principale attaque il voulut s’emparer du petit bourg de Lourano. A la fin du jour, il se porta sur Lourano avec quatre bâtimens à rames, ses canots et une bombarde. Il espérait n’avoir pas été vu, il se trompait. La porte