Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

taient pas prêts à soutenir la lutte : toutes leurs forces se trouvaient alors dans le Bengale sous les ordres de Clive. Seulement une de leurs escadres tenait la mer. D’Aché en fît la rencontre au large de Négapatam, et en revint avec de telles avaries que, déjà trop prudent, il se promit de ne plus exposer aux hasards d’un combat naval les vaisseaux qui lui étaient confiés. Lally, qui arrivait avec l’intention de trouver en faute les officiers de la compagnie, ne se gênait pas pour leur faire des reproches de leur négligence ; dès les premiers jours, il se les aliéna. Néanmoins il voulut marcher en avant. Se trouvant dépourvu de moyens de transport, n’ayant aucun soupçon des préjugés de caste qui dominent la société hindoue, il fit une levée en masse des natifs pour assurer le service de ses équipages. Dès lors il n’eut plus seulement contre lui les autorités de Pondichéry ; la population indigène lui fut aussi hostile que la société coloniale.

Cependant, grâce au nombre et à la vigueur des troupes fraîches qu’il avait amenées, il obtint d’abord quelques succès en dépit de la malveillance ou de l’inertie du gouvernement local et de sa propre ignorance des affaires du pays. Il prit sans trop de résistance l’avant-poste de Cuddalore. Cinq semaines après être débarqué, il enlevait encore aux Anglais le fort Saint-David, l’un des plus anciens et des mieux défendus de leurs établissemens. Il voulait alors marcher sur Madras, profiter de ce que l’ennemi n’avait pas encore reçu de renforts, et par un coup de main hardi les expulser de cette ville, qui était le siège de leur gouvernement. S’il réussissait cette fois, les Anglais étaient par le fait exclus du Carnatic. Par malheur, il n’y avait plus d’argent pour payer la solde des troupes ; les magasins étaient vides, les arsenaux dégarnis. De Leyrit et ses collègues, les membres du conseil de la compagnie, répondaient à toutes les réquisitions du général en chef en alléguant l’impossibilité de lever de nouveaux impôts ou de réunir des approvisionnemens. On vit alors se produire un fait sans précédent dans l’histoire de la compagnie : Dupleix et ses prédécesseurs avaient soutenu la lutte pendant de longues années sans recevoir aucun subside de la mère-patrie ; le pays fournissait à tous leurs besoins. Lally au contraire, qui avait apporté de France des sommes considérables et qui en recevait encore de temps à autre, se voyait menacé par la famine. Lorsqu’un détachement de ses troupes était en marche, les natifs fuyaient de toutes parts et faisaient le vide devant les Français par crainte du pillage et de mauvais traitemens, tandis que les Anglais trouvaient partout à se nourrir. Tant bien que mal, Lally parvint enfin à organiser un corps expéditionnaire composé de 2,000 Européens et 5,000 cipayes. Ce fut avec cette armée qu’il vint mettre le siège devant Madras, que défendait une garnison presque d’égale