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elle qui demanda la première l’abolition des privilèges dont elle surtout profitait. Elle était animée de ce généreux esprit de justice qui avait entraîné l’aristocratie française la nuit du 4 août. Au lieu d’encourager ce mouvement d’émancipation, comme l’avaient fait Marie-Thérèse et Joseph II, le cabinet de Vienne y opposa une résistance acharnée, et s’efforça de le comprimer par tous les moyens. Il se présentait néanmoins une difficulté qui exigeait une solution immédiate : il s’agissait de savoir si les nobles seraient obligés de se soumettre au péage qu’il fallait établir sur le magnifique pont suspendu qui aujourd’hui fait à Pesth l’orgueil du Danube, et dont alors Széchenyi avait conçu le projet. Sur le pont de bateaux, le manant seul payait, le noble passait, fier de son inique privilège. C’est à l’occasion de ces questions que Deák prononça une série de discours qui fixèrent sur lui l’attention de tout le pays. Il éleva aussi la voix pour défendre la malheureuse Pologne et pour réclamer le droit d’asile en faveur des Polonais qui s’étaient réfugiés en Hongrie. A partir de ce moment, on vit que son vote décidait du sort d’une proposition, et que sa parole commandait la majorité.

Quand la session fut close, le gouvernement crut devoir recourir aux moyens extrêmes pour comprimer le mouvement qui emportait tout le pays. Il fit condamner Wesselényi et jeter en prison Lovassy et Kossuth, jeunes tribuns qui communiquaient au peuple l’enthousiasme qui les animait. Éternel aveuglement du pouvoir! une nation vient-elle à s’agiter pour obtenir plus de liberté ou de justice, il s’imagine qu’il arrêtera tout en frappant ceux qui paraissent conduire la foule. Il n’arrête rien et prépare l’explosion qui bientôt l’emportera, semblable à un machiniste insensé qui, pour ne pas entendre le bruit strident de la vapeur, fermerait la soupape sans songer que la force bouillonnante à laquelle il a ôté toute issue ne tardera pas à l’anéantir.

La diète de 1839 se réunit enflammée de toutes les colères qui remuaient le pays, et décidée à imposer au gouvernement le respect de ses droits séculaires. Deák était à la tête de l’opposition. Tous les députés de son parti se groupaient autour de lui et en recevaient le mot d’ordre. Il les conduisit avec tant de vigueur, d’ensemble et de sagesse que le gouvernement en fut intimidé. Le palatin alla jusqu’à consulter Deák, et tira de la conférence qu’il eut avec lui la conclusion qu’il était temps de céder. Kossuth fut remis en liberté, mais son ami Lovassy était mort en prison. Le comte Rháday, député du comitat de Pesth, qu’on empêchait d’occuper sa place en l’impliquant dans un procès de lèse-majesté, fut également amnistié. Deák avait acquis assez d’autorité pour servir d’arbitre entre la couronne et la nation, et il était parvenu à les ré-