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vérité le beau moment de ce grand administrateur ; il avait atteint le but de ses désirs, qui était de dominer dans la péninsule sous le couvert des monarques natifs ; du cap Comorin jusqu’à Delhi, l’influence française était toute-puissante ; en regard, les Hollandais et les Portugais conservaient à peine quelques ports de relâche, et les Anglais, bloqués dans Madras et Saint-Thomé, n’avaient plus de partisans sérieux. Après avoir passé quelques jours à Pondichéry et conféré à son allié Chunder-Sahib le gouvernement du Carnatic, Mozuffer-Jung voulut se rendre dans les provinces septentrionales du Deccan afin d’y consolider son pouvoir et d’en réorganiser l’administration, que la guerre avait jetée dans une grande confusion ; mais il n’osait se livrer tout seul à ses sujets indigènes, dont la soumission était trop récente pour mériter une entière confiance. Il représenta donc à Dupleix qu’il ne pouvait entreprendre un si long voyage avec sécurité à moins d’emmener une escorte de soldats français. La paix paraissait assurée sur la côte de Coromandel. Les directeurs de la compagnie reprochaient à Dupleix de maintenir l’armée sur un pied de guerre ruineux pour les finances. Le gouverneur vit dans la demande de Mozuffer-Jung un excellent moyen d’alléger les charges d’entretien des troupes en même temps que d’affermir la prépondérance française au centre de la péninsule. Une petite armée de 300 Européens et 2,000 cipayes fut mise à la disposition du vice-roi ; elle était commandée par Bussy. Ce général s’était déjà distingué en plusieurs affaires importantes. Il était jeune encore. Né en 1718, près de Soissons, d’une famille noble, mais pauvre, le marquis de Bussy avait été chercher fortune à l’Île de France au temps où La Bourdonnaye en était gouverneur. Il avait pris part à l’expédition dirigée contre Madras en 1746, et avait alors quitté l’amiral pour se mettre sous les ordres de Dupleix, qu’il admirait beaucoup. C’était un homme ardent sur le champ de bataille, calme dans le conseil, rompu aux finesses de la diplomatie indigène. À peine était-il depuis trois semaines avec Mozuffer-Jung, que ce prince périt par accident dans une querelle avec un vassal dont son armée traversait les états. Bussy choisit aussitôt dans la famille du vice-roi défunt un certain Salabut-Jung, dont les droits au trône étaient peut-être contestables, mais dont la docilité ne devait rien laisser à désirer. Ce nouveau souverain confirma toutes les faveurs que son prédécesseur avait accordées aux Français ; ce point réglé, Bussy reprit avec lui sa route vers le nord. Sous l’escorte des Européens, Salabut-Jung atteignit Hyderabad le 12 avril : après un court séjour, il se remit en marche, fit le 29 juin 1751 une entrée triomphale à Aurengabad, capitale du Deccan, et reçut dans une cérémonie solennelle l’investiture, que l’empereur de Delhi n’osa lui refuser.