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du jour, il y avait foule, la réunion devenait orageuse, les orateurs parlaient tour à tour au milieu des interruptions ou des applaudissemens, et souvent les partis opposés en venaient aux mains. Cette assemblée départementale avait à choisir les fonctionnaires de toutes les catégories, juges, sous-préfets, officiers de police, notaires, et les deux représentans que chacun des cinquante-deux comitats avait le droit d’envoyer à la diète centrale. Nulle part, sauf peut-être aux États-Unis, l’élection directe ne joue un rôle aussi prédominant qu’en Hongrie. Là véritablement on peut dire que tous les pouvoirs émanent de la nation. Comme les représentans recevaient des instructions, c’est-à-dire un mandat impératif, la congrégation discutait d’abord toutes les questions que devait aborder ensuite la diète. Elle se transformait alors en un meeting à la façon anglaise, ou plutôt en un club semblable à ceux que la révolution de 1789 et celle de 1848 ont fait surgir en France. Les chefs de parti et les tribuns populaires, les députés influens et les orateurs de cabaret y prenaient tour à tour la parole, car c’est là en définitive que se décidait la marche des affaires. Qu’un régime aussi ultra-démocratique avec un mécanisme représentatif aussi défectueux n’ait produit que de bons résultats tant que la main du despotisme ne l’a point faussé, cela fait le plus grand honneur à la nation hongroise et prouve une fois de plus l’action modératrice de la pleine liberté.

Le jeune Deák acquit bientôt dans les assemblées de son comitat une influence que justifiaient la maturité précoce de son esprit et ses profondes connaissances juridiques. Il partageait les idées de l’opposition ; il voulait introduire dans l’organisation sociale de la Hongrie ces principes d’égalité et de justice qui sont devenus le patrimoine commun de l’humanité et le premier besoin des peuples civilisés ; mais en même temps il était décidé à défendre les antiques libertés de son pays et à faire prévaloir sa langue, ses institutions, sa nationalité. Il apportait dans les débats une grande clarté d’exposition, une déduction serrée en même temps qu’une extrême modération dans les conclusions. Il savait toujours précisément ce qu’il voulait, et il poursuivait son but avec fermeté et persévérance, ce qui est une grande force partout, dans les réunions nombreuses et populaires plus encore qu’ailleurs. à ne tarda point à être accepté comme le chef de son parti dans le comitat, et sa fermeté, sa sagesse, le rendaient déjà digne d’aller le représenter au sein de l’assemblée nationale. De même que la jeunesse grecque se préparait par les luttes de l’arène aux rencontres décisives des champs de bataille, ainsi c’était dans les joutes oratoires des comitats que les jeunes Hongrois, qui visaient à diriger les affaires de leur pays