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HENRI.

Dites-le, croyez-le comme eux tous, vous, la seule à qui j’aurais voulu persuader le contraire !

DIANE.

Moi?

HENRI.

Vieille histoire! amour absurde, étouffé dans son germe, il y a plus de cinq ans, vous savez où; c’était en Normandie, votre mari vivait. Vous ne m’avez pas remarqué, vous êtes devenue veuve; Anatole a paru... Parlons de vous, ma belle, et pauvre et noble amie. Il ne faut pas que vous vous jetiez au couvent. Vous êtes jeune. La vie, que vous avez à peine commencée, vous garde une ample provision de bonheurs inconnus. Après avoir épuisé les joies amères du sacrifice, il vous reste à jouir de l’amour triomphant, dominateur et despotique. J’en connais plus de mille, sans me compter, qui s’enorgueilliront de ramper à vos genoux. Vivez, régnez, vengez sur quelques fous de mon espèce l’injure qu’un enfant sans conscience et sans remords fait subir à votre fierté.

DIANE.

Merci! je m’en tiens à mon plan. Le cloître me vengera mieux que toutes les vanités du monde. Je veux souffrir, mourir pour celui qui me laisse, sous ses yeux, à deux pas de lui, avec un obstacle infranchissable entre nous deux. Les remords lui viendront quand il sera vraiment un homme. Il voudra réparer son crime. Et même peut-être un jour se reprendra-t-il à m’aimer. Je le saurai, car les murs du couvent laissent passer les bruits du monde; mais, implacable comme la justice, je meurtrirai mon front sur les dalles du sanctuaire, j’enivrerai mon cœur d’un renoncement obstiné, et désespérée, mais contente, je jouirai de son malheur et du mien.

HENRI.

C’est joli, malheureusement c’est long. Moi, je vous vengerai en un tour de main, si vous me laissez faire.

DIANE.

Vous seriez homme à le tuer?

HENRI.

Comme un loup, pour vous faire hommage de sa patte.

DIANE.

A défaut de sa main? Merci. Vous êtes un brave garçon, je le savais; mais je ne mérite pas, je ne veux pas que vous exposiez votre vie.

HENRI.

Eh! que diable voulez-vous que j’en fasse? Elle n’est plus à moi.