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LA SERBIE AU XIXe SIÈCLE.


nationale et des dynasties nationales au moment même où ces dynasties viennent de s’éteindre !

En étudiant cette histoire de la Serbie primitive, de sérieux esprits se sont demandé si ce n’a pas été un malheur pour l’empire de Douschan d’avoir été attaché à la religion orthodoxe, s’il n’eût pas mieux valu pour les Serbes suivre la communion latine et prendre part avec elle aux destinées de la société romano-germanique, de cette société à qui appartient la civilisation du monde. Pendant deux siècles, du ixe au xie, de saint Cyrille, apôtre catholique des Slaves, à saint Sava, fondateur de l’église nationale des Serbes, la Serbie paraît hésiter entre les Latins et les Grecs. Si elle eût marché avec les Latins, n’eût-elle pas été mieux défendue aux jours des suprêmes périls ? Et quand les Grecs se montraient si peu dignes de l’empire d’Orient, les Serbes, soutenus par la société occidentale, n’auraient-ils pu recueillir ce grand héritage au profit de la chrétienté européenne ? L’histoire alors eût changé de face. Que de hontes, que d’horreurs épargnées aux contrées du Bosphore, si Stefan Douschan, l’empereur puissant et juste, le tsar de Macédoine aimant le Christ, muni des secours du pontife de Rome, eût transporté son trône à Constantinople ? M. Ranke, qui pose la question au seul point de vue politique, n’a pas de peine à répondre que ces arrangemens rétrospectifs sont presque toujours des chimères. Les Hongrois étaient restés fidèles à la communion latine ; on les a même vus en des heures funestes se faire les exécuteurs des vengeances romaines, on les a vus porter une guerre d’extermination chez l’héroïque George de Podiebrad, accusé d’hérésie ; à quoi leur a servi cette fidélité, complice d’odieuses violences, lorsqu’ils sont devenus à leur tour le rempart de la chrétienté contre l’invasion ottomane ? Ils ont succombé aussi ; ni l’église romaine ni l’Europe occidentale n’ont pu préserver de la conquête une grande part de leur territoire. Il y avait dès cette époque trop de rivalités, trop d’intérêts complexes dans l’Orient chrétien pour que l’unité religieuse elle-même pût le défendre. À supposer d’ailleurs que les Serbes, de saint Cyrille à saint Sava, en cette période d’irrésolution apparente, se fussent décidés pour l’église latine, est-ce que leurs affinités naturelles avec l’église d’Orient ne les auraient pas ramenés de ce côté à l’heure où la primitive unité du moyen âge se disloquait de toutes parts ?

Un des vieux chants serbes parvenus jusqu’à nous raconte une singulière aventure. La guerre ayant éclaté entre les Hongrois et les Turcs, un des derniers défenseurs de la Serbie expirante, George Brankovitch, alla trouver Jean Hunyade. — « Si tu es vainqueur, lui dit-il, que feras-tu de notre église ? » Hunyade répondit : —