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pairs. Les élections dernières ont fait le reste. À côté de M. Gladstone, c’est lord Clarendon qui reprend la direction des affaires étrangères. Le comte Granville est secrétaire pour les colonies, M. Cardwell est à l’administration de la guerre. M. Bright, entrant pour la première fois au pouvoir, devient président du bureau de commerce. L’homme dont la présence dans le cabinet semble la plus singulière, c’est le nouveau chancelier de l’échiquier, M. Lowe, qui a été un des plus vifs et des plus passionnés adversaires du bill de réforme, qui a combattu dans cette question M. Gladstone aussi bien que M. Disraeli ; mais le bill de réforme est aujourd’hui un fait accompli sur lequel il n’y a plus à revenir, et M. Lowe est un partisan de l’abolition de l’église d’Irlande ; cela suffit. Les Anglais ne se piquent pas d’une logique et d’une conséquence absolues dans les combinaisons politiques. Ils s’arrangent aisément dès qu’il y a un progrès pratique à poursuivre. On ne voit pas même que M. Gladstone ait hésité à s’assurer le concours de M. Lowe.

Par quelques-uns des hommes qui le composent, par la situation dans laquelle il se forme, comme par la politique qu’il semble devoir suivre, le ministère Gladstone est assurément une nouveauté en Angleterre. C’est une génération nouvelle qui fait sa trouée. Entre M. Gladstone et M. Disraeli arrivant l’un et l’autre à la tête de leur parti et des affaires publiques, il y a du moins cette analogie, qu’ils ont grandi tous deux par le talent, qu’ils appartiennent tous deux, avec des nuances différentes, aux classes moyennes, assez fortes désormais pour partager l’influence avec l’aristocratie de race, pour n’avoir plus besoin du patronage de quelque vieux lord. Ce n’est pas que l’Angleterre semble fort disposée à rompre avec ses traditions. On l’a bien vu tout récemment, lorsqu’il s’est agi d’ouvrir le parlement. Y aurait-il un discours de la couronne ? Le cas semblait embarrassant en présence d’un ministère à peine formé. On est remonté pour trouver un précédent jusqu’à lord North, jusqu’en 1765, où quelque chose d’analogue arriva. La conscience anglaise s’est trouvée parfaitement tranquillisée quand on a découvert qu’on pouvait très bien faire aujourd’hui ce qui s’est fait en 1765, c’est-à-dire éviter pour le moment le vrai discours de la couronne, constituer la chambre des communes par l’élection du speaker, lancer les writs pour la réélection des membres du cabinet, exposer les causes de la dernière crise ministérielle et ajourner les grands débats à la session du mois de février. Cela s’est fait au mois de décembre 1765, cela se fait encore au mois de décembre 1868 ; c’est toujours l’Angleterre, seulement c’est une Angleterre qui a grandi, qui a aujourd’hui M. Gladstone pour premier lord de la trésorerie, et qui compte un radical, M. John Bright, parmi les membres du gouvernement. M. Gladstone entre au ministère avec une majorité telle qu’il n’a point à craindre les embarras des pouvoirs précaires, réduits à mendier leur vie dans le parlement. Il ne faut pas