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LA SERBIE AU XIXe SIÈCLE.


pleine barbarie, et déjà se dessine un singulier esprit de conduite. Quel que fût l’adversaire de la cour de Byzance, les Serbes le soutenaient. Les vaincus, les prétendans, trouvaient toujours un réfugie assuré dans leurs montagnes. Au commencement du xive siècle, il n’y avait pas dans toute la péninsule illyrique un état plus solidement constitué que la Serbie. En 1341, Jean Cantacuzène, qui venait de prendre la pourpre, désespérant de réussir avec ses partisans et les troupes latines qu’il avait appelées à son aide, s’engagea dans les montagnes et alla trouver le roi Stefan Douschan à Pristina, sa résidence de fête. Ils formèrent une singulière alliance, dit l’historien Nicephorus Gregoras, cité par M. Ranke ; ils s’étaient juré d’associer leurs intérêts, de faire absolument cause commune, et, pour éviter tout conflit dans le partage des conquêtes, il était stipulé que les villes prises à l’ennemi décideraient elles-mêmes auquel des deux elles appartiendraient. M. Ranke reconnaît là une coutume particulière aux Serbes, l’institution des fraternités électives (probratimstvo). On vit alors que Les premiers chefs de la Serbie n’avaient pas eu tort, au point de vue politique, de préférer la communion grecque à la communion romaine ; en haine des Latins, à qui le prétendant avait fait des avances, d’importantes cités, Mélénik, Eclessa, prises par Cantacuzène, aimèrent mieux se donner à Douschan. Jean Cantacuzène commença dès lors à regretter ses engagemens, et, croyant réparer sa faute, il eut la détestable idée de susciter à son allié un adversaire inattendu, les Turcs osmanlis, qui grandissaient dans l’Asie-Mineure. Ge fut pour Douschan la source d’une puissance nouvelle. Les populations indécises entre les Grecs et les Serbes furent acquises désormais au héros qui défendait le sol chrétien contre les infidèles. Douschan d’ailleurs, tout en battant les Turcs, eut l’habileté de ne pas rompre tout d’abord avec Cantacuzène ; il affectait de se dire attaché à son frère par des liens indissolubles. C’était en vertu de leur alliance qu’il agrandissait chaque année Ses états, prenant la Macédoine, la Bosnie, l’Albanie, la Bulgarie, formant peu à peu un vaste royaume qui allait de Belgrade à Janina et de la Mer-Ionienne à la Mer-Noire. En 1347, on le trouve à Raguse, accueilli avec enthousiasme comme un protecteur de l’Europe. Le nom de roi des Serbes ne pouvait plus lui suffire. Pour s’assurer l’obéissance des provinces où il avait planté la bannière des Slaves, il osa prendre un titre que l’Orient et l’Occident, dit très bien M. Ranke, se disputaient encore, et qui en réalité n’appartenait plus à personne : il se fit appeler l’empereur des Romains, le tsar de Macédoine aimant le Christ. Ses monnaies nous le montrent couvert de la tiare et tenant en main le globe terrestre surmonté d’une croix. Il lui restait à faire une conquête d’un autre ordre. Si la distinction du spirituel et du temporel, — et c’est encore