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C’est à peine si dans le XIVe siècle ces populations de pâtres et de laboureurs se regardaient comme unies entre elles par un lien de famille ; elles n’avaient ni un drapeau commun, ni un cri national pour se rallier dans la mêlée, au milieu des sanglantes confusions, dans ces redoutables momens où le sort de tous dépend d’un patriotisme discipliné. À vous, confédérés ! voilà l’unique mot d’ordre qui retentit dans les dangers et que la chanson répète. Les Suisses, disaient déjà les Autrichiens et la noblesse qui embrassait leur cause ; mais ce nom dans leur bouche était une sorte d’injure adressée à la petitesse et à l’obscurité de ces cantons groupés derrière le modeste état de Schwyz, qui avait tant fait parler de lui dans les premières luttes de la liberté. Zurich, très autrichienne alors et très acharnée contre ses voisins de Schwyz, contribua beaucoup à mettre ce nom en circulation vers le milieu du XVe siècle. Notre Philippe de Comines, qui traita souvent avec les Suisses au nom de son maître Louis XI, les désigne encore sous le titre des vieilles ligues allemandes. « Quatre villes, dit-il, Berne, Lucerne, Fribourg, Zurich, et leurs cantons, qui sont leurs montagnes. Suisse en est un, qui n’est qu’un village. J’en ay veu de ce village un, estant ambassadeur avec autres, en bien humble habillement, qui néantmoins disoit comme les autres son advis. » Le rameau suisse tenait donc encore au grand, arbre germanique par l’origine, par la langue, par une soumission de respect et de tradition, sinon de fait, au saint-empire allemand. Nous approchons du moment où le rameau se détache et devient arbre à son tour, où la dénomination méprisante devient le nom glorieux de la patrie. Les chants dont nous allons présenter une analyse ont ce mérite de nous apprendre comment s’élève une nationalité. Jusqu’ici le peuple helvétique a secoué le joug des ducs d’Autriche sans rompre avec l’empire. Dans ses combats contre Charles le Téméraire, avec le secours des populations de sa race et de sa langue, il va repousser la domination d’une race française et défendre sa nationalité originelle. Dans ses combats contre l’empereur Maximilien, il se sépare de l’Allemagne et fonde la nationalité suisse.

C’est dans ses montagnes les plus hautes que nous avons vu naître et se former ce peuple de pionniers et de pâtres. Il a défendu sa liberté là où ses vallées deviennent plus larges, sur un plan moins élevé, mais d’un abord encore bien difficile. Descendons un étage de plus. Les champs de bataille où nous allons le suivre sont dispersés sur ses frontières, depuis le lac de Neufchâtel jusqu’à celui de Constance. Jean-Jacques Rousseau, dans une lettre au maréchal de Luxembourg, compare la Suisse entière à une grande ville où les maisons seraient dispersées, et dont le canton de