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symboles chrétiens et à l’histoire du christianisme; c’est ce parti que Wiertz a suivi la plupart du temps. Ainsi, au moment même où il prétend exprimer des idées à leur naissance ou en voie de formation, l’artiste ne peut le faire qu’au moyen de cette vérité dès longtemps réalisée et familière aux cœurs des hommes. Rien ne prouve mieux que ce fait l’impuissance des arts plastiques comme instrumens de ce que nous nommons progrès.

Voilà pourquoi les arts plastiques, quand ils ne s’adressent pas directement à la nature extérieure ou au monde présent, c’est-à-dire quand ils ne se renferment pas exclusivement dans le paysage, les natures mortes, les peintures d’animaux ou la peinture de genre, sont forcément rétrospectifs. Ils ont besoin d’un corps pour exprimer des conceptions d’essence intellectuelle, et ce corps, la vérité réalisée, c’est-à-dire associée aux mœurs de l’homme et vivant de la même vie que lui, peut seule la leur donner. De là une nouvelle nécessité pour l’artiste : c’est qu’il faut qu’il y ait un rapport harmonique entre ses conceptions et la tradition, c’est que quelle que soit la hardiesse de ses pensées, il doit accepter dans une certaine mesure cette vérité réalisée, car elle ne peut se prêter également à l’expression de toutes les idées. C’est par une intelligence instinctive de l’opinion que nous émettons ici que nos artistes contemporains, fils d’un siècle de doute, se sont détournés de la peinture historique, c’est-à-dire de celle qui exprime des conceptions intellectuelles, et qu’ils se sont jetés de préférence dans la peinture de genre et le paysage : ils ont eu, et ils ont raison.

Un seul art peut dans une certaine mesure exprimer ces idées d’avenir, qui, pareilles à des esprits en peine, gémissent pour avoir un corps, infantum gemitus in limine primo. Cet art est la musique, parce qu’il lui est donné de satisfaire pleinement l’esprit par la suggestion non de ce qui est, mais de ce qui peut être. Le désir et la rêverie créent un état de bonheur parfaitement déterminé, et cependant ils ne s’adressent à rien de certain. C’est sur ces facultés d’aspiration qu’agit la musique : comme elles et par leur moyen, elle nous satisfait en nous donnant le sentiment de ce qui est possible, et elle n’a pas besoin de dénaturer les idées en les traduisant en actes, et en leur donnant un corps qui fut celui dont le temps revêtit d’autres idées.

C’est pour n’avoir pas compris ces limites nécessaires de son art que Wiertz a lutté toute sa vie afin de réaliser un but qui réclamait d’autres instrumens. On l’aurait probablement blessé, si on lui eût dit que les feuilles volantes de l’Indépendance belge ou de tout autre journal servaient beaucoup plus qu’il ne pourrait jamais la servir par ses toiles la cause de la démocratie et du progrès, et cependant rien n’eût été plus vrai. Une de ses toiles les plus absurdes comme