Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/969

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de sa décapitation, peint par un brave peintre du nom de Kokarski. Il avait fait le portrait de la reine dans ses jours heureux, et bien des années après, pendant ses stations de garde national au Temple, il eut l’adresse de dérober au temps à la course vertigineuse l’image dernière de celle qui allait être emportée. — Après la révolution, l’existence de ce portrait vint à la connaissance du duc d’Arenberg, et l’homme qui avait fait le plus sérieux effort qu’on ait tenté pour sauver la monarchie française, par le rapprochement de Mirabeau et de Marie-Antoinette, voulut acquérir l’image dernière de celle qu’il avait essayé de sauver de l’orage alors qu’il portait encore le nom et le titre de comte de La Marck. Ce portrait a manqué à l’exposition des souvenirs de Marie-Antoinette organisée l’an dernier au Petit-Trianon, et c’est vraiment dommage : les organisateurs de cette exposition n’en avaient-ils donc pas connaissance, ou bien le détenteur actuel de ce portrait a-t-il eu la cruauté de nous le refuser pour quelques jours? Ce portrait vérifie et consacre plusieurs des détails que la tradition nous a transmis sur la personne de la reine à la veille de sa décapitation. Voilà bien en effet le costume sous lequel on nous a raconté qu’elle était allée à l’échafaud, le simple bonnet, le fichu de coton blanc, la robe de laine noire, voilà bien la chevelure prématurément blanchie; mais les ravages de la douleur n’ont pas poussé plus loin leur triomphe, et le portrait est curieux en ce qu’il constate que la tête que Marie-Antoinette livra au bourreau avait conservé sa beauté non moins que sa fierté. Ce visage est étonnamment grave et fort; il s’y lit de la tristesse, aucun accablement, aucune déchéance intérieure. L’âme auquel ce visage sert d’interprète porte le poids de la fatalité, mais elle le porte avec une noblesse où l’aisance s’allie à la vigueur... Nous devions saluer ce portrait au passage, puisque le hasard l’a mis sur notre chemin; mais un sujet plus bas nous réclame, et nous ne pouvons nous attarder.

Puisque me voilà devant une des toiles capitales de Jean Steen, je profiterai de cette occasion pour rassembler en un seul tout les impressions éparses que j’ai ressenties devant les tableaux de cet artiste tant en Flandre qu’en Hollande. Comme Jean Steen est peu connu chez nous, et que le vaste public n’a pas eu l’occasion de donner son verdict sur le mérite de ce peintre, sa renommée est encore livrée à la controverse parmi les rares personnes qui ont pu voir ses tableaux. Il a ses détracteurs et ses enthousiastes, et, chose curieuse, les uns et les autres ont également raison. Jean Steen est en même temps un très grand artiste et un peintre secondaire. Son coloris est sans grand caractère et la plupart du temps sans charme, sauf dans quelques parties de la Fête aux huîtres de La Haye, et dans le ravissant petit tableau de la Jeune