Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/968

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appétit plus ou moins vif de beauté que ne peut manquer de ressentir un artiste qui a vécu dans un tel milieu, on le réduit à sa propre individualité? Eh bien! on trouve un frère de Philippe de Champaigne, Flamand comme lui, mais nôtre par le génie. Par sa sagesse, son bon sens, son intelligence, son art de composition, son austérité, Gaspard de Crayer marque la transition de la Flandre à la France, à laquelle passe alors pour un temps trop court le sceptre du grand art.

Maintenant, si vous voulez vous dispenser d’étudier Gaspard de Crayer, et si vous voulez l’admirer d’emblée dans toute sa perfection, allez à Gand dans l’église de Saint-Michel, asseyez-vous dans la chapelle de Sainte-Catherine, qui se trouve juste en face de la chapelle où, de l’autre côté de la nef, est suspendu l’admirable Christ mourant de Van Dyck, et contemplez-y pendant une heure la charmante Assomption de cet intéressant artiste.


II. — JEAN STEEN.

Il y a dans notre nature plus de contrastes encore que Shakspeare lui-même n’en a noté. Vous est-il jamais arrivé par exemple de n’être préoccupé que de pensées nobles lorsque vous marchiez vers la satisfaction d’une curiosité qui n’avait rien de commun avec la noblesse? Notre visite à la riche galerie du duc d’Arenberg à Bruxelles nous a fait connaître un contraste de ce genre. Que de souvenirs nous assaillaient pendant notre voyage à cet hôtel d’aspect si grave et si imposant! Nous pensions au Sanglier des Ardennes, au Quentin Durward de Walter Scott, au Massacre de l’évêque de Liège de Delacroix, à notre chroniqueur Fleuranges; nous pensions surtout à l’homme noble de fait comme de nom qui forma cette galerie, et qui eut l’insigne honneur et l’insigne humanité de comprendre et d’aimer le grand Mirabeau insulté par ses pairs. Et pourquoi allions-nous visiter cette noble maison, s’il vous plaît? Pour contempler les Noces de Cana de Jean Steen, œuvre capitale du plus licencieux des peintres, car c’est surtout cette curiosité que nous tenions à satisfaire.

Cette galerie, composée avec un goût exquis, ne contient presque que des toiles de premier choix, et pourrait être regardée comme le véritable musée de Bruxelles, si elle n’était consacrée presque exclusivement aux peintres hollandais et aux petits Flamands. Cependant il s’y rencontre plus d’une œuvre faite pour éveiller des pensées plus grandes que celles qui naissent devant un Jean Steen ou ses émules, et dans le nombre nous ne devons pas oublier une petite toile qui nous intéresse particulièrement, nous Français. Nous voulons parler d’un portrait de la reine Marie-Antoinette à la veille