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adopter d’autres. C’est une grande erreur. Les métaux qu’on appelle précieux n’ont pas été adoptés, ils se sont imposés à cause de qualités toutes particulières pour lesquelles ils ne peuvent être suppléés. Le pain de froment, le vin, sont assurément très utiles dans la vie; cependant ils ne sont pas d’un usage aussi général que la monnaie. On trouvera des peuples qui ne mangent pas de pain, ne boivent pas de vin, et qui ont des équivalens dans le riz, la pomme de terre, la bière et d’autres boissons fermentées ; la laine elle-même, qui sert à nous vêtir, n’est pas employée partout, on la remplace par le coton, ou par d’autres tissus. Il n’en est pas de même de la monnaie métallique. Quand on ne la possède pas, et que les relations commerciales s’établissent au moyen du troc, c’est-à-dire de l’échange en nature, on est dans l’état primitif et barbare, et on ne commence à en sortir que lorsqu’on adopte les métaux précieux pour instrumens d’échange. On peut voir aussi ce que deviennent les peuples civilisés qui, ayant abusé de leurs ressources, en sont réduits à n’avoir plus de monnaie métallique, et à réaliser leurs échanges au moyen de cet instrument de convention qu’on appelle le papier-monnaie : ils sont arrêtés dans leur développement industriel et commercial, et vont s’appauvrissant d’année en année.

Il y a sur l’utilité de la monnaie, dans un auteur américain, une image d’une justesse frappante. « Les métaux précieux, dit M. Carey, sont au corps social ce que l’air atmosphérique est au monde physique; tous deux fournissent l’instrument de circulation, et la dissolution du corps physique en ses élémens, lorsqu’il est privé de l’un, n’est pas plus certaine que la dissolution de la société lorsqu’elle est privée de l’autre. » C’est bien là en effet le caractère de la monnaie métallique ; elle est l’instrument de circulation par excellence, ce qui en rend l’usage universel et la valeur des plus stables. Pour qu’une marchandise ait une grande stabilité de valeur, il faut deux choses : d’abord qu’elle ait un débouché très étendu, ensuite qu’elle puisse se conserver longtemps. Si elle n’a qu’un débouché restreint et une durée très limitée, quelque utile qu’elle soit, elle ne peut pas échapper aux effets immédiats de la loi de l’offre et de la demande qui la saisit sur le marché où elle arrive. Je prends le blé pour exemple. Cette denrée est assurément très utile, et à ce titre elle pourrait avoir un marché très étendu; mais elle n’est pas d’un transport commode et facile, elle ne peut pas pénétrer très loin; de plus elle est susceptible de se détériorer très vite. Si donc le blé se trouve produit en plus grande quantité qu’il ne convient pour la consommation immédiate du rayon d’approvisionnement où il a son débouché, il faut qu’il baisse de prix, et il