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on verrait, comme dans les contrées où règne le papier-monnaie, le commerce se ralentir. La monnaie métallique est plus encore que la base des opérations commerciales, c’est le grand ressort qui met en mouvement l’activité d’un pays. Nous n’avons pas besoin de citer des exemples à l’appui de cette théorie, ils ressortent de toutes les crises, et il suffit de se rappeler ce qui s’est passé en 1857 en Europe et particulièrement en Angleterre. On peut aussi se souvenir des réclamations de notre pays, lorsque pendant deux années de suite, en 1863 et en 1864, l’encaisse de la Banque ne dépassa guère 200 millions, et qu’il fallut élever le taux de l’escompte à 7 et 8 pour 100. On s’aperçut bien alors que la monnaie métallique n’était pas une marchandise comme une autre, et qu’elle demandait à être traitée avec plus de circonspection que les produits ordinaires. Eh bien ! c’est le même point de départ qui cause les erreurs sur l’influence exercée par l’abondance des mines d’or. On s’imagine que, l’or étant une marchandise comme une autre, il ne peut pas devenir immédiatement abondant, beaucoup plus abondant qu’il n’était, sans subir une certaine dépréciation. « Le surcroît d’approvisionnement de métaux précieux, dit Hume dans son Essai sur la monnaie, est une cause de perte pour une nation dans son commerce avec l’étranger, parce qu’il élève le prix du travail et des marchandises, obligeant chacun de payer un plus grand nombre de ces petites pièces blanches et jaunes. » Bastiat lui-même, qui avait vu le commencement de la production des mines de la Californie, disait, en parlant des pays producteurs d’or et d’argent : « Plus vous nous enverrez de métaux précieux, mieux c’est pour nous, car cela nous permet d’avoir plus d’or et d’argent à fabriquer cuillers, fourchettes et couteaux; mais c’est tant pis pour vous, car nous ne vous enverrons pas plus de drap et de fer pour le surcroît que nous ne vous en donnons aujourd’hui pour la petite quantité. » Il y avait dans cette appréciation deux erreurs : la première, c’était de croire que le superflu de l’or et de l’argent était destiné sinon exclusivement, au moins principalement à faire des cuillers et des couteaux, et nous ajouterons même des bijoux; la seconde, c’était de vouloir que la dépréciation des métaux précieux fût proportionnelle à la quantité dont ils augmenteraient. Nous pourrions citer d’autres auteurs qui sont allés plus loin et qui ont tout simplement considéré cette exploitation des mines de la Californie et de l’Australie comme un malheur et une perte, en ce sens qu’elle a enlevé à l’agriculture et à l’industrie beaucoup de bras et de nombreux capitaux qui se sont trouvés consacrés à un travail stérile, à augmenter l’instrument d’échange dans une proportion qui le rendra plus incommode, puisqu’il en faudra davan-