Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/937

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mettre autant qu’on le pourrait à l’abri de cette dépréciation. Cette précaution paraissait indiquée principalement pour les états qui avaient ou l’étalon d’argent, ou le double étalon. Ceux qui avaient l’étalon d’argent devaient s’y tenir plus que jamais, et ceux qui avaient les deux devaient proscrire l’or comme monnaie légale, sauf à l’accepter comme monnaie purement commerciale. C’est sous l’influence de cette préoccupation que dès 1849 la Hollande démonétisait son or, et que quelques années après son exemple était imité par la Belgique. En France, il y eut aussi des esprits très éclairés qui poussèrent notre pays à suivre l’exemple de la Belgique et de la Hollande et à revenir exclusivement à l’argent, que l’on considérait comme le véritable étalon monétaire de la France en vertu de la loi de germinal an XI. Notre gouvernement ne se laissa pas entraîner; il préféra rester dans le statu quo, et quelques années après l’opinion était un peu changée. D’abord on ne vit pas avec déplaisir l’or se substituer graduellement à l’argent, qui obtenait une prime et qui s’en allait. On trouva que cette nouvelle monnaie était plus commode, d’un transport plus facile; puis, quand on fut bien convaincu que cet or, quoique répandu en abondance, avait sa place dans la circulation, et qu’il ne répondait même pas encore à tous les besoins, on cessa de s’alarmer de la production annuelle des 7 ou 800 millions de l’Amérique. En effet, dès 1856, lorsque les mines avaient déjà versé dans le monde 6 ou 7 milliards, les métaux précieux devenaient très rares, l’escompte montait à 6 et 7 pour 100 en Angleterre et en France, et les principaux établissemens financiers de ces deux pays, qui dans les premiers momens, en 1852 et 1853, avaient eu un encaisse de 5 et 600 millions, eurent de la peine à le maintenir aux environs de 200. On se rappelle même les sacrifices considérables que fit alors la Banque de France pour s’approvisionner de numéraire; elle en acheta de 1855 à la fin de 1857 pour 1,378 millions, et y dépensa en primes une somme de 15 millions 883,000 fr. Le même fait se reproduisit en 1863 et en 1864, l’argent redevint très cher, et l’encaisse de la Banque de France et de la Banque d’Angleterre descendit encore au-dessous de 200 millions; on pressa même très vivement notre principal établissement financier de vendre ses rentes pour se procurer des métaux précieux. Après cette expérience plusieurs fois répétée de la cherté de l’argent malgré la production des mines, personne ne s’occupa plus de la question de la monnaie.

Mais tout change très vite dans ce monde, les phénomènes économiques comme les autres. Il ne s’était pas écoulé trois ans depuis la dernière crise de 1854, que les faits apparurent sous un tout autre aspect. L’encaisse des banques, au lieu de se vider par inter-