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toire à atteindre, but à poursuivre. Ce but est la transformation de l’homme, c’est le vieil homme sacrifié à l’homme nouveau, la chair à l’esprit. Sous quelque forme qu’on se représente le combat moral (même ne vît-on dans le bien que la dernière et la plus haute quintessence de l’intérêt personnel), il faut reconnaître qu’il y a toujours un but supérieur à telle ou telle sensation que nous pouvons avoir dans un cas donné. Ce n’est donc pas parce que nous approuvons et que nous désapprouvons qu’il y a du bien et du mal; mais c’est parce qu’il y a du bien et du mal que nous approuvons et que nous désapprouvons. Nous devons donc tâcher d’adapter notre approbation à la nature des choses au lieu de prendre notre approbation elle-même pour mesure suprême, car l’approbation ne peut être à elle-même sa raison.

Qu’est-ce donc que la conscience idéale, absolue, infaillible, la conscience du genre humain, comme l’appelle M. Whewell? C’est la conscience qui verrait immédiatement, intuitivement, ce que devrait faire l’homme idéal dans toute circonstance donnée, avec la même clarté et la même certitude que nous le voyons dans certaines circonstances particulières. Par exemple, supposons un ami qui va dénoncer par une calomnie son ami intime, et sans provocation, pour l’envoyer à la mort et s’enrichir de ses dépouilles comme délateur; il n’est pas une conscience qui ne voie clairement ce que ferait l’homme idéal dans une telle conjoncture. Supposons donc une conscience telle qu’elle pût saisir avec la même netteté ce que ferait l’homme idéal en toute circonstance, vous aurez la conscience idéale et absolue.

Une telle conscience n’est certainement pas plus réalisable dans la pratique que le type absolu auquel elle répondrait. De même qu’il n’y a pas d’homme parfait, il n’y a pas de conscience parfaite; mais cette conscience, qui n’existe pas à l’état effectif et actuel, existe à l’état de tendance. C’est l’effort que fait l’humanité pour arriver à cet état de conscience parfaite qui sert à la dégager peu à peu des égaremens et des illusions de la conscience imparfaite; c’est l’idée, comme disent les hégéliens, qui brise successivement les formes inférieures pour atteindre à la forme supérieure; c’est « le but immanent, » suivant une autre formule chère à la même école. Nous accordons, pour notre part, une haute importance à la théorie allemande de l’évolution, et, si nous faisons des réserves, c’est en tant qu’on applique cette théorie à l’être en soi, c’est-à-dire à l’être absolument absolu; nous l’adoptons entièrement en tant qu’on l’applique à la nature ou à l’humanité, c’est-à-dire à l’être relativement absolu. La théorie de l’évolution nous paraît le vrai milieu entre la doctrine qui entraîne l’humanité à un faux ab-