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terminent cette dernière partie ; chacun des quatre cantons a son hymne de victoire en une strophe ; chacun des états recueillait ainsi dans l’auditoire sa part égale d’applaudissemens.

Toute fière et toute glorieuse qu’elle est de sa victoire, la petite épopée ne se maintient pas sur le ton sublime ; c’est une victoire démocratique, et les paysans ne peuvent se réjouir comme des chevaliers. Aussi le court épisode qui forme la troisième romance est-il purement satirique : c’est une belle et bonne lâcheté d’un seigneur, qui est fort complaisamment racontée par le poète avec la juste punition qui en est la suite. Un chevalier, le seigneur de Gree, échappé de la bataille, prie l’honnête batelier Hans Roth de lui sauver la vie, et lui promet une bonne somme pour le fret de son bateau. Marché conclu ; la nacelle fend les eaux du lac dans la direction de Nothwyl, à l’ouest ; c’est aujourd’hui la station du chemin de fer avant celle de Sempach. A mesure que le danger diminue pour le seigneur de Grée, le prix dont il a acheté son salut lui semble plus fort ; plus il approche de Nothwyl, plus le marché lui parait onéreux. Il fait signe à son valet, embarqué avec lui, de payer le batelier d’un coup de poignard ; mais Hans Roth n’a pas l’esprit moins prompt que la rame : il devine le coup et fait chavirer sa barque. « Çà ! dit le poète, allez prendre au fond du lac une bonne leçon, pour vous apprendre à poignarder un honnête batelier ! » Hans Roth court aux magistrats et leur annonce qu’il a fait bonne pêche. Le lac de Sempach est connu pour être fort poissonneux, mais jamais si beaux poissons n’y avaient été pris. Il sont si gros qu’il faut de l’aide pour les apporter. Le pêcheur les donnera volontiers, pourvu qu’on lui en laisse les écailles. On retira du fond de l’eau le seigneur de Gree, son serviteur et sa valise.


« Que contenait la valise ? Deux coupes de bon argent. Elles furent données à Hans, qui les porta gaîment dans sa barque, sans les vendre ni les engager, à Lucerne pour les mettre en lieu sûr. »


D’après les chroniques, il n’est pas douteux qu’un certain sire de Gree ou Gray, d’autres disent de Clèves, Bourguignon, vassal de l’archiduc, s’échappa de Sempach, retrouva son valet, mais non les chevaux qu’il lui avait donnés en garde et qui lui avaient été enlevés dans la déroute ; il est également certain qu’il se servit de la barque et du secours du batelier Roth pour traverser le lac, et qu’il y fut noyé. Le reste du récit est-il également vrai ? Le même fait est raconté à propos d’un des nombreux combats dont le lac de Zurich fut le théâtre : même trahison et même châtiment. Le batelier de Zurich, du nom de Rochs, fait la plaisanterie obligée sur