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n’ont point de rapport avec la morale. La morale n’exige point que tous les individus soient absolument identiques; elle ne l’exige pas davantage des races et des peuples. La nature n’ayant jamais fait deux individus absolument semblables, et même cette similitude absolue, suivant Leibniz, étant impossible, la morale ne peut prescrire ce que la nature des choses exclut infailliblement. Chacun de nous pourra donc, sous une même loi morale, avoir son caractère propre, son régime, son humeur, ses habitudes, ses plaisirs. Pourquoi n’en serait-il pas de même des divers peuples? La morale ne me défend pas d’être enjoué, ni à mon voisin d’être sévère et triste. De même il y aura des peuples qui auront l’imagination légère, vive, joyeuse, qui aimeront le plaisir, les fêtes, les danses, en un mot les joies de la vie; d’autres peuples seront âpres, rigides, ardens au travail, amis des austérités. Ceux-ci traiteront les premiers de frivoles; les autres à leur tour les traiteront de barbares. Le sage reconnaîtra que ces qualités diverses sont légitimes et introduisent heureusement la diversité dans l’espèce humaine. Il demandera que les peuples ne quittent pas trop facilement leurs mœurs primitives et originales. De cette diversité naturelle des caractères et des penchans, en même temps que de la diversité des climats et de ce que l’on appelle aujourd’hui les milieux, naissent dans chaque peuple des habitudes différentes, des régimes et des lois qui ont par là leur explication et leur raison d’être. Et c’est en ce sens que rien n’est plus vrai que cette maxime qui scandalise Pascal : « que chacun suive les mœurs de son pays, » dont le corollaire bien connu des voyageurs est qu’il faut suivre également les coutumes des pays étrangers que l’on visite. Cette maxime n’a absolument rien de contraire à la morale; elle est même une maxime morale, car rien de plus injuste que de choquer les mœurs de ceux dont on reçoit l’hospitalité, et il est au moins sage, sinon obligatoire, de vivre comme les autres hommes, en tant du moins que l’on ne trouve dans leurs usages rien de contraire à la justice. L’idée d’une uniformité absolue dans les mœurs de tous les peuples de l’univers est une conception abstraite semblable à celle d’une langue universelle. La morale n’exige pas que tous les hommes parlent une même langue; elle n’exige pas davantage qu’ils s’habillent, se nourrissent, se réjouissent, se gouvernent de la même manière. Il faut laisser beaucoup au naturel. L’erreur d’un grand nombre de philosophes, et c’est celle de Montaigne et de Pascal, est de croire que toute diversité résulte du caprice et de la fantaisie; mais la diversité, aussi bien que l’unité, est fille de la nature. Les mêmes plantes changent de port, d’aspect, de couleur, selon les climats. Pourquoi en serait-il autrement de l’humanité?

Il est facile de s’expliquer, nous l’avons vu, comment les dépo-