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L’UNITE MORALE
DE
L’ESPECE HUMAINE

Rapport sur les progrès de l’anthropologie, par M. A. de Quatrefages, de l’Institut.

Il n’y a pas de plus grand embarras pour le moraliste que celui qui naît de la diversité, de la mobilité et de la contradiction des opinions et des mœurs parmi les hommes. Les sceptiques s’emparent de cet argument pour combattre la doctrine d’une morale universelle et absolue. Les dogmatiques persistent, malgré les apparences, à soutenir l’existence d’une telle morale. Les premiers ne voient dans ce qu’on appelle la morale que le résultat complexe des habitudes, des intérêts, des instincts variables et multiples des diverses races humaines. Les autres affirment qu’il existe un fonds de morale naturelle, une loi non écrite, plus ou moins connue de tous les hommes, plus ou moins altérée par les penchans et les intérêts, mais qui partout commande le bien et défend le mal avec une autorité irrésistible. Même conflit dans le domaine du droit. L’école sceptique, appuyée cette fois par l’école historique et même par l’école traditionaliste, maintient que le droit n’est, comme la morale, que le résultat des faits, des besoins, des circonstances et des mœurs. L’école philosophique et rationaliste proclame au contraire un droit naturel, éternel, imprescriptible, antérieur et supérieur, comme on dit, aux lois écrites, et duquel celles-ci doivent