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l’ouvrage était lu et commenté. Les brochures pleuvaient; il y eut presque des livres pour, contre et sur ce roman. Quelques-uns prétendirent connaître de près l’histoire réelle qui servait de base au récit fictif, et, comme pour consoler le public attristé par la mort de l’héroïne, il parut une quasi-rectification : Nicolette Pléiade n’est pas morte. On y trouvait que, guérie de sa maladie et de son amour, elle s’était mariée obscurément et vivait heureuse dans une petite ville du nord; mais une contre-rectification ne tarda point à suivre, intitulée Nicolette Pléiade est bien morte ! Des dramaturges la firent monter sur les planches dans cinq ou six drames différens, du reste sans grand succès. Encore aujourd’hui le roman est souvent discuté. M. Pury est devenu proverbial, et Bleek a laissé un nom.

Le fait est que rarement, en bien comme en mal, la société hollandaise avait vu se dresser devant elle un miroir plus exact. Une génération entière séparait, il est vrai, les personnages du roman de ses lecteurs; mais les mœurs, les habitudes sont tenaces dans ce pays, et sauf quelques différences superficielles de modes, de monnaies, presque toutes les classes de la population pouvaient se reconnaître. Avec quelle verve imitative le romancier-peintre faisait parler à chacun son langage particulier, depuis la phrase solennelle des douairières jusqu’au babil gazouillant des jeunes filles, depuis l’horrible, mais expressif jargon de Mitie Lammertsz jusqu’au hollandais à la française de M. Pury! Et puis, sur ce fond réaliste, humoristique, se détachent des scènes émues, des sentimens d’une délicatesse, d’une pureté idéale. On fait comme la bonne Madame Mère, on rit et on pleure dans le même quart d’heure. La dernière lettre de Nicolette à Maurice est un des morceaux les plus tristes et les plus touchans que je connaisse, et je veux la citer comme exprimant l’idée même qui fait le fond de l’ouvrage. Elle est écrite au moment où la jeune fille, justifiée dans l’opinion de tous ses amis, vient d’être redemandée en mariage par le vicomte d’Eylar, dont jadis et quand elle n’était encore qu’une enfant trouvée, élevée par charité, elle avait eu l’héroïsme de repousser la demande.


« Mon ami,

« Si quelque chose pouvait compenser ce que j’ai souffert pendant les six derniers mois, ce serait la pensée que je n’ai pas perdu votre estime. Déjà j’avais cm voir, quand je vous rencontrai chez Mme Pury, que vous du moins ne me croyiez pas coupable, et ce fut un rayon de lumière qui vint éclairer une nuit douloureuse, un doux rayon qui m’a réchauffé le cœur. Oui, Maurice, votre amour est le plus précieux trésor