Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/890

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait en l’épousant une excellente affaire, et que sa femme fait toujours taire, même quand il ne dit rien, ce qui ne l’empêche pas de dire son avis sur toute chose et d’être le plus heureux des mortels.

On se demande peut-être comment l’auteur s’y est pris pour donner de l’air et de l’espace à ses nombreux personnages et aux non moins nombreuses créations de son récit. Le fait est qu’il y a parfaitement réussi, et que sans la moindre peine on suit d’un bout à l’autre les enchevêtremens d’intrigues et de passions qui se rattachent à la trame principale. Son talent descriptif, la manière dont il s’y prend pour buriner ses caractères, l’extrême variété des cadres et des situations, enfin le cachet extrêmement vivant d’un réalisme, si je puis m’exprimer ainsi, constellé d’idéal, lui ont permis de marcher jusqu’à la fin sans le moindre encombrement. Les principales scènes se dessinent dans la mémoire avec une aisance merveilleuse. La soirée d’étudians chez Bol, le sous-sol habité à Amsterdam par Mitie Lammertsz et Nicolette, le village de Hardestein, la tombola de Madame Mère, le dîner de la douairière de Dourtoghe, la maison van Zirik, le magasin de nouveautés des Pury, la chambre où Nicolette prodigue ses soins à Gaillard malade, sa chambre mortuaire à elle-même, forment autant de tableaux si parfaitement distincts, de couleurs si tranchées, relevés par des détails si finement caractérisés, qu’on aurait envie d’être peintre pour les fixer sur la toile. Aussi quelle popularité enthousiaste accueillit les volumes successifs à mesure qu’ils paraissaient! On se les arrachait, et de Groningue à Maëstricht il n’était question que de Klaasie Zerenster.

Cependant avec le troisième volume, qui contenait le séjour de l’héroïne à La Haye, il y eut un brusque temps d’arrêt dans ce concert de louanges. Des voix nombreuses se mirent à crier à l’indécence, à l’immoralité, et se gendarmèrent contre l’auteur au nom de la pudeur publique outragée. Il y avait de cette grande colère deux motifs, l’un avoué, l’autre que je crois très réel, mais dont peut-être on ne se rendait pas clairement compte. Le motif déclaré, c’était le récit détaillé du séjour de la jeune fille dans un lieu infâme. Comment! s’écriait-on, voilà ce qu’on ose mettre sous les yeux de nos femmes et de nos filles ! Et cela, dans notre propre langue, et lorsque nous nous emportons tous les jours contre ces romanciers français que nous ne pouvons lire en famille, quoiqu’ils soient fort amusans, parce qu’ils sont trop licencieux!... Un moment, il fut presque de bon ton dans les familles distinguées ou aspirant à passer pour telles de n’avoir pas lu Nicolette, ce qui fit mentir bien des jolies lèvres. Il faut reconnaître que l’auteur a été hardi. Je dirai plus. Son défaut habituel de prolixité, sensible dans