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les Suisses se mirent en devoir de leur couper la route avec les arbres ; ils leur firent trouver des nids, dit le poète, sans avoir la peine de grimper aux branches. Les nobles seigneurs autrichiens ne s’arrêtèrent pas longtemps à chercher les nids que leur envoyaient les confédérés ; ils se souvinrent de Morgarten, et descendirent de cheval. Alors, les voyant se former en une masse compacte et marcher en avant, les confédérés firent sous bois un mouvement en arrière et les vinrent attendre dans un coin adossé à la montagne. Qui n’a présent à la mémoire le récit du combat livré sur cette petite lande verte ? C’est ici que, pour entamer l’impénétrable bataillon des chevaliers autrichiens, Arnold Winkelried saisit une brassée de leurs piques et se les fit entrer dans la poitrine, afin que ses compagnons pussent faire leur trouée par-dessus son corps.

La chanson de Sempach a été divisée en quatre parties ou romances, romanzen, ce qui la fait ressembler à certaines ballades anglaises. Défis et bravades avant le combat, détails de la bataille, épisodes de la déroute, deuil de l’ennemi et chants de triomphe du vainqueur, voilà le fond des quatre romances. Dès le commencement de la première, il y a mouvement et vivacité, il y a l’accent d’un poète. Une image tirée de la vie rurale lui suffit pour peindre la situation.


« C’était l’an treize cent quatre-vingt-six : la puissance de Dieu se rendit manifeste. Çà ! nous étions au jour de saint Cyrille, quand le Seigneur se rangea du côté des confédérés, comme je vais le dire et le chanter.

« Un laboureur vint en hâte à Willisau, et dit : Un essaim d’abeilles s’est envolé ; il s’est allé poser dans les tilleuls. Çà ! il fallait voir comme l’essaim fuyait vers le duc quand le duc porta la guerre chez les Suisses ! »


Ces abeilles fuyardes sont les hommes de Berne, qui ont tourné contre les confédérés en voyant le duc apparaître ; ce château qui brûle est un de leurs exploits.


« Que signifie cela ? s’est dit le laboureur. Cela signifie que les abeilles ont cherché un nouveau logis. Et voilà que les hommes de Willisau ont vu leur château en feu. — Çà ! criait l’ennemi plein d’arrogance, mettons à mort tous les Suisses, vieux sang, jeune sang, tous également ! »


La lettre de convocation n’a manqué à aucun chevalier, aucun ne fait défaut. Ils s’avancent tous sous. leurs riches armures, tous ils livrent au vent les armoiries bigarrées de leurs enseignes. « Nous voulons, disent-ils, donner des maîtres à ces paysans ! » Et