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auteur de romans historiques il avait peu de goût pour le roman contemporain, et qu’il avait épuisé son cycle. Cependant ceux qui pouvaient l’approcher avaient lieu de croire que cette inactivité n’était qu’apparente, et en effet, âgé de plus de soixante ans, il reparut sur la scène en 1866 avec un nouveau roman en cinq volumes, De Lotgevallen van Klaasie Zecenster (les Aventures de Nicolette Pléiade), qui fit une sensation profonde, et prouva qu’en vieillissant van Lennep savait se transformer.

Ce n’est pas qu’il eût absolument rompu avec son ancien genre. L’histoire qu’il raconte se passe dans notre siècle, mais dans la première moitié, et les souvenirs du passé y tiennent encore une grande place; puis, s’il ne fait que très peu d’allusions aux événemens politiques, ce roman n’en est pas moins fondé sur des faits réels. L’auteur a lui-même rencontré l’héroïne encore enfant dans un de ces sous-sols qu’habite la classe inférieure d’Amsterdam. L’étrange histoire de Nicolette, jetée sans s’en douter dans un repaire infâme, y passant malgré elle des semaines entières et en ressortant aussi pure qu’elle y est entrée, est aussi une réalité. L’auteur a même dû attendre que la mort eût éclairci les rangs de ceux qui s’étaient trouvés mêlés à cette aventure, il a dû dénaturer des dates, des noms, des circonstances, pour ne faire tort à personne. Par conséquent, même dans cette œuvre où la part de la fiction est très grande, il reste jusqu’à un certain point historien; mais de plus il se fait moraliste et moraliste social. Lui, ce conservateur émérite, il lance des vérités vigoureuses, presque brutales, à une société qui prend trop complaisamment la régularité des dehors pour une preuve d’excellence. Enfin il reste peintre, d’une exactitude photographique. Les étudians, le petit peuple, l’aristocratie, le commerce, la ville et la campagne posent tour à tour devant son chevalet. C’est l’œuvre que nous avons réservée pour une analyse plus détaillée que celle que nous avons consacrée aux romans antérieurs. Elle est la plus forte et la plus variée. C’est celle aussi qui a fait le plus de bruit, qu’on a le plus vivement discutée, et, bien que nous ne puissions la présenter que sous cette forme étriquée et desséchée qui est à l’œuvre elle-même ce que la fleur de l’herbier est à la même fleur en plein épanouissement sur sa tige, nous espérons que ce résumé permettra de se faire une idée de l’intérêt puissant qu’elle excita et qu’elle mérite.


III.

Qu’on se représente un soir pluvieux de Saint-Nicolas dans la bonne ville de Leyde. Six étudians sont réunis chez leur camarade