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Louis XIV auprès de » leurs hautes puissances les états, » rien de plus émouvant, rien de plus tragique que d’assister à la chute graduelle du malheureux et naïf de Buat, qui ne sait pas dans quel abîme il s’enfonce. C’est en vain que le pauvre papillon doré se débat contre les fils dans lesquels l’enlace la monstrueuse araignée dont il a cru pouvoir traverser impunément la toile. En vain fait-il appel aux amitiés influentes qui pourraient le sauver, en vain sa jeune femme et sa belle-mère vont-elles se jeter aux pieds du grand-pensionnaire. Il n’était qu’un instrument, cet instrument est brisé, et ceux qui s’en servaient ont tout intérêt à ce qu’il disparaisse. Le portrait de Jean De Witt, magistrat austère, politique de génie, dont la seule grande faute fut de se fier à Louis XIV, dévoué à son pays, mais aussi et tout autant à son parti, plus juste que clément et plus estimable qu’aimable, est admirablement peint. Ce livre offre un genre d’intérêt qui rappelle celui de Cinq-Mars, d’Alfred de Vigny.

Un autre roman de van Lennep, Ferdinand Huyck[1], touche moins que le précédent à la grande politique, mais nous fait entrer plus avant dans la vie intime du patriciat municipal. C’est l’histoire d’un jeune homme, fils du magistrat chargé de la police d’Amsterdam, qui se trouve involontairement mêlé à la mystérieuse destinée d’un baron de Linz, émigré en Espagne, où il a été créé duc de Talavera, qui s’est fait forban, et qui, redevenu honnête homme, doit passer sans être reconnu à travers la Hollande, où il est activement recherché par ordre des états, et où il doit rentrer en possession de papiers qui lui sont nécessaires afin d’aller en Russie utiliser ses connaissances nautiques sur la flotte du tsar Pierre. La compromission forcée de l’honnête jeune homme avec le hardi coureur d’aventures, le secret qu’il est tenu de garder, les démarches étranges qu’il est entraîné à faire, tout rend bientôt sa position insoutenable auprès du grave et scrupuleux magistrat, son père, auprès de toute sa famille et de la jeune fille dont il est amoureux. C’est ici surtout que nous pouvons saisir le secret du charme propre aux meilleures compositions de van Lennep. Il consiste à dérouler une histoire très romanesque dans les limites d’un cadre très réaliste. Qu’on se figure l’agitation que ne peuvent manquer de produire dans la paisible maison du hoofdschout d’Amsterdam les rapports prolongés du fils aîné avec l’ancien écumeur de la mer des Antilles! Quel contraste entre cette sombre figure et ce placide intérieur, où tout reluit, meubles et consciences! Là encore de nombreux origi-

  1. Prononcez Heuilk en mouillant l’l, ui et uy se disant en hollandais comme œil en français. La même remarque est applicable à des noms qui reviennent souvent, et que nous estropions affreusement en les prononçant à la française, tels que Rayter, Ruysdaël, Cuyp, Zuiderzee.