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filial qui ajoute au mérite de ses scrupuleuses peintures. Le premier dans l’ordre chronologique des romans où van Lennep arrive à parler des hommes et des luttes politiques engendrées par le conflit dont nous venons de retracer les causes est peut-être le moins populaire de ses ouvrages, peut-être aussi l’un de ceux qu’un connaisseur délicat lit avec le plus de plaisir. Elisabeth Musch nous transporte au moment où l’astre de Jean De Witt, l’antagoniste le plus capable de la maison d’Orange, touche à son apogée. Le prince d’Orange, qui sera plus tard Guillaume III d’Angleterre, est encore un adolescent chétif et pâle. Le grand-pensionnaire de Hollande, tout-puissant dans les conseils des principales villes et dans les états-généraux, a pris ses mesures pour l’exclure de tout emploi et même pour imposer au jeune prince une éducation républicaine qui ne mordra guère sur cet esprit précoce, déjà mûri par la souffrance, qui sait se taire et attendre. Cependant les orangistes mécontens s’agitent déjà sourdement, et des explosions intermittentes de la mauvaise humeur populaire préludent à la sanglante tragédie de 1672. C’est entre ces deux lourdes masses d’intérêts et de passions en lutte que vient imprudemment se fourvoyer un jeune et charmant couple, à qui tout souriait dans la vie, qui venait de voir naître son premier enfant, et qui, sans intention mauvaise, sans autre tort que de vouloir trop promptement parvenir, se jette étourdiment dans une intrigue politique dont le mari paiera de sa tête l’échec final. De Buat, officier d’origine française attaché à la maison du prince, encouragé par sa jeune et jolie Elisabeth, qui prévoit moins encore que son mari les dangers auxquels il s’expose, se trouve amené à servir d’instrument tout à la fois au parti orangiste, qui est le sien, et au parti des états. De Witt voudrait entamer avec l’Angleterre une négociation extra-officielle à laquelle il serait censé n’avoir lui-même aucune part, afin d’arriver à conclure la paix avec Charles II. Le pauvre de Buat, qui ne voudrait trahir personne, entre en relations confidentielles avec les meneurs des deux partis, finit par ne révéler aux uns et aux autres qu’une partie des lettres qu’il reçoit d’Angleterre, s’imagine un moment qu’il pourra sans faire autre chose que le bien de son pays diriger lui-même la négociation délicate dont il tient les fils, rêve déjà honneurs, gloire, richesse, — et tout d’un coup, à la suite d’une distraction, se trouve impliqué dans une affaire de haute trahison. Tel est le canevas sur lequel l’auteur a brodé des scènes infiniment curieuses où paraissent les principaux personnages du temps, à commencer par De Witt et le jeune prince. L’amour tient moins de place dans ce roman que dans les autres; mais, outre la variété des incidens, les aperçus historiques d’une grande portée sur la politique du temps, en particulier sur les menées des envoyés de