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gloire de la journée de Sempach. Elle est reproduite en détail ; elle a donné matière à l’une des meilleures ballades du recueil national, et le poète qui l’a chantée s’est trouvé à la bataille.

Entre Morgarten et Sempach, il s’est écoulé soixante-dix ans, deux tiers de siècle bien remplis. Les petites républiques suisses se sont affermies et agrandies ; elles sont sorties de leur nid dans les montagnes et ont commencé de prendre leur essor. Avec elles, la liberté, plus confiante, s’est établie de proche en proche dans des vallées plus larges, et a remporté des victoires nouvelles, Sempach et Naefels. Lucerne est agglomérée aux cantons forestiers, et la liberté prend position tout autour du lac, qui peut s’appeler désormais le lac des Quatre-Cantons. Glaris, peu opulente, mais brave, placée au revers des montagnes qu’habitent les hommes de Schwyz et d’Uri, allie sa destinée à celle de ces cantons simples et pauvres comme elle. Zug était faible et petite, aussi peu assurée de son indépendance que de son sol étroit toujours miné par son lac ; elle quitte l’Autriche et grossit le parti des cantons forestiers. Berne et Zurich, les deux grands marchés du pays, se lient d’intérêts avec ces pâtres et ces laboureurs qui font d’excellens soldats ; mais ce n’est pas encore la nation helvétique : les Suisses n’existent pas pour ainsi dire ; ils ne prennent guère d’autre nom que celui de confédérés, eidgenossen, hommes liés par serment. Il n’y a pas même de confédération, si ce n’est entre les trois cantons primitifs, et les autres jurent amitié à ceux-ci ; aucun traité ne lie les cantons nouveaux entre eux. D’ailleurs point de lois communes, point de gouvernemens hors des murs : rien que des contrats entre les villes, des baux perpétuels ou renouvelables confirmés par serment, et dont, suivant l’usage de ces temps, l’église était le notaire.

Nous sommes en 1386, sur la rive orientale du lac de Sempach, plus riche de souvenirs que de vues pittoresques. La physionomie plus calme des lieux nous avertit elle-même du changement qui s’est fait depuis Morgarten. La liberté des cantons n’est plus réduite à se défendre en d’inaccessibles retranchemens ; elle est presque descendue dans la plaine et défend contre l’ennemi autre chose que des rochers et des précipices. Cependant le théâtre du combat est tel que le touriste l’admirerait encore, s’il n’était pas dans le pays des beaux sites. Partout ailleurs qu’en Suisse, on serait enchanté de cette prairie à mi-côte qui s’ouvre devant une chapelle sous de grands arbres, à une petite distance du bourg ; quatre croix de pierre enferment l’espace où succombèrent, dit-on, les ennemis de la liberté ; dans le lointain, on aperçoit la surface miroitante du lac. La chanson parle d’un premier engagement dans les bois. Les ennemis venaient le long de ces sapins sur la droite :