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Tout est ici en allusions, et le commentaire qui les explique est sous vos yeux, si vous voulez repasser sur les traces de ces guerriers improvisés. La flèche qui avertit les confédérés fut lancée par-dessus la muraille d’Arth par un noble du camp autrichien à son parent : elle annonçait l’attaque pour la veille de saint Omer, au lieu appelé Morgarten. En quittant à Rothenthrum la route qui mène de Schwyz à Einsieleln, si vous appuyez sur la gauche, vous apercevez bientôt le petit lac bleu d’Égeri, enfermé et comme endormi au soleil dans sa couronne de vertes collines. C’est de ce côté que le 16 novembre 1315, après une nuit froide, sous un soleil rougissant et enveloppé de vapeurs, les comtes et chevaliers de l’Argovie, de la Thurgovie et de la Souabe, conduits par leur chef et suzerain Léopold, duc d’Autriche, s’acheminèrent le long de la rive étroite du lac. Ils venaient du pays de Bade, sur la Limmat, au nord de Zurich, et voulaient prendre à revers le pays de Schwyz, confiant dans ses montagnes et ses remparts. Qui pouvait douter alors qu’une poignée de paysans rebelles ne fut bientôt châtiée par un duc d’Autriche suivi de sa brillante noblesse ? Nulle part on n’avait vu jusque-là des manans à pied tenir tête à des hommes d’armes bardés et cuirassés sur leurs grands chevaux de bataille. Les manans furent « de sérieux adversaires, » dit la chanson. Ces coups « dont l’ennemi fut accablé » ne sont autres que les rochers détachés de la montagne, les arbres coupés et précipités sur lui quand il se fut engagé dans le défilé que vous voyez au-dessous de vous. Ce petit pré enfermé là, entre la côte et le lac, est le célèbre Morgarten. Il fut impossible aux chevaux de tenir sur cette surface que la nuit avait glacée. En avant et en arrière, le chemin fut bientôt interrompu par les arbres renversés ; les pierres roulaient d’en haut ; les combattans, fondant tout à coup sur une foule en désordre, écrasèrent la noble armée et la jetèrent dans le lac. Le poète a raison, « elle n’en pouvait réchapper. » Pour la première fois, le paon, trop dédaigneux du taureau suisse, perdit quelques-unes de ses plumes les plus brillantes. Cependant la fortune était douteuse tant que les amis de l’autre côté du lac étaient assiégés. Les paysans victorieux redescendirent à la course leur vallée de Schwyz, désormais hors de danger, et les barques du lac des Cantons portèrent la petite armée triomphante dans la vallée d’Unterwalden, où elle acheva cette chasse du paon, qui coûta, suivant la chanson, « tant de sueurs et de sang. » Malheureusement nous n’avons pas de ballade sur Morgarten ; tout est indiqué, rien n’est raconté dans les strophes que nous venons de traduire, qui sont tirées de la chanson de Guillaume Tell, et forment un lien de plus entre l’histoire nationale et la légende de l’héroïque arbalétrier, mais il ne manque rien à la