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son catholicisme libéral ne conserve pour l’église de l’avenir ni le patronage de l’état ni même le pontificat. « Ce ne sera rien non plus, dit-il en parlant de cette église, qui ressemble au protestantisme, système bâtard, inconséquent, étroit, qui, sous une apparence trompeuse de liberté, se résout pour les nations dans le despotisme brutal de la force, et pour les individus dans l’égoïsme[1]. » Au fond, toutes les écoles sorties du sein du catholicisme, si libérales qu’elles soient devenues, sont restées essentiellement catholiques par leur constante fidélité au principe de la raison et de la volonté générale, représenté par la tradition et la discipline catholique. Si Rome n’a accepté ni leurs idées ni leurs réformes, c’est que toute innovation, même de forme et de détail, n’est ni dans sa nature ni dans son rôle. Lamennais, Buchez, Bordas-Dumoulin, Huet et tant d’autres en ont fait l’expérience; ils ont bien vite compris qu’il fallait porter la question devant le grand tribunal de l’église universelle; mais là encore l’esprit de discipline prévalut malgré tous les complices secrets des réformateurs. Alors, parmi les apôtres de la première heure, les uns rentrèrent prudemment dans le troupeau des fidèles, les autres allèrent se confondre dans les rangs des libres penseurs; le silence et le vide se firent autour des chefs d’école, qui eux-mêmes se rapprochèrent de plus en plus de ces derniers. On sait que Lamennais a fini par l’Esquisse d’une philosophie, c’est-à-dire par une œuvre de philosophie pure où la pensée de Spinoza se mêle parfois à la pensée de Platon. Avec bien d’autres démocrates qu’une triste et trop longue épreuve a éclairés, Buchez a perdu sa foi trop exclusive dans le principe catholique de l’autorité, malheureusement si stérile en œuvres véritables de civilisation et de démocratie, en même temps que son extrême défiance du principe libéral de l’initiative individuelle, si fécond en œuvres de ce genre, si l’on en juge par l’exemple de l’Allemagne, de l’Angleterre et de l’Amérique protestantes. Bordas-Dumoulin et Huet ont fini également par reprendre toute leur liberté philosophique devant les violences et les iniquités de la réaction cléricale. D’autres écoles réussiront-elles dans des temps plus propices, soit à faire fléchir la tradition de l’église catholique, soit à en détacher une notable partie des sociétés qu’elle gouverne, pour l’entraîner dans les voies d’une réforme religieuse analogue à celle dont le XVIe siècle fut le témoin? On n’est guère tenté de le croire quand on veut bien réfléchir à la nature même du catholicisme, qui soumet tout l’homme à la direction et à la discipline, sans rien laisser à la liberté individuelle, pas plus dans l’organisation de l’église que dans l’ex-

  1. Les Affaires de Rome, p. 128.