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II.

Si notre siècle est stérile en véritables créations religieuses, il est très fécond en restaurations, en réformes, en transformations de ce genre. Le christianisme est une doctrine très arrêtée et très large tout à la fois. Tandis que l’autorité qui veille à sa conservation ne permet pas de rien changer à tout ce qui est article de foi, le champ reste ouvert sous son sévère regard à une certaine initiative en tout ce qui concerne la spéculation philosophique proprement dite. Sans cesser d’être chrétien ni même catholique, on peut comprendre et interpréter diversement la pensée chrétienne. Tout en respectant la lettre, on s’attache plus particulièrement à l’esprit de la doctrine. Le christianisme se prête d’autant mieux à cette méthode que sa synthèse, riche et variée, offre des aspects plus divers aux inclinations et aux aptitudes des races, des époques, des sociétés, des partis, des différentes familles d’esprits. Chez certaines races, c’est le côté Imaginatif et symbolique qui prédomine; tel est le cas des races méridionales. Chez d’autres, c’est le côté sentimental et psychologique; tel est le cas des races du nord. En ce sens, il est juste de distinguer un christianisme grec, un christianisme latin, un christianisme allemand, un christianisme italien ou espagnol, un christianisme anglo-américain. Cette influence des races, des temps ou des lieux sur les doctrines ne va pas jusqu’à transformer le christianisme en autant de religions nouvelles, puisque le credo est toujours là pour maintenir l’unité religieuse; mais elle engendre des différences sensibles, de véritables variétés dans la grande famille chrétienne. Si le dogme est resté le même par décret de l’autorité, l’esprit a varié selon les temps, les lieux et les hommes, et, à vrai dire, le dogme lui-même, malgré les décrets de l’autorité officielle, n’a pas toujours résisté aux nécessités géographiques ou historiques. Le schisme grec et la réforme en sont de mémorables exemples.

Les libres penseurs ne peuvent jamais se sentir la mission de créer, de restaurer, de réformer ou de transformer une religion, puisqu’une pareille œuvre serait en contradiction manifeste avec leur principe de la souveraineté de la raison. C’est donc toujours de chrétiens, de catholiques sincères, que vient l’initiative de telles entreprises. De tout temps, il s’est rencontré dans les grandes sociétés chrétiennes des individus ou des sectes qui ont essayé d’accommoder la pensée religieuse soit aux propres instincts de leur intelligence personnelle, soit aux instincts et aux besoins généraux de la société où ils vivaient. Au moyen âge, l’Évangile éternel et le