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dont on sait parfaitement que l’esprit humain a fait tous les frais; l’enseignement qu’on reçoit des maîtres de la science n’est point considéré comme une révélation d’en haut, parce qu’on sait qu’il ne tombe point d’une bouche inspirée. Lorsque, dans une sorte d’ivresse mystique que des adversaires peu bienveillans ont prise pour un calcul de charlatans, le saint-simonisme a parlé des révélations de Saint-Simon et des inspirations du père Enfantin, il n’a pu triompher du ridicule qui s’attache à ces mots d’une langue morte pour nous, du moment qu’on veut s’en servir autrement que par métaphore. Croyans et incrédules s’accordent pour ne pas prendre au sérieux l’application de pareils termes aux hommes et aux idées de ce temps-ci.

Le saint-simonisme est peut-être l’unique tentative de religion nouvelle faite jusqu’ici en plein XIXe siècle. Il serait bien possible qu’il fût la dernière, tant il faut de courage et de naïf enthousiasme pour braver à ce point le tempérament tout scientifique et positif de nos sociétés modernes. On a pu baptiser de ce nom solennel tel ou tel système de pratiques et de formules, comme par exemple le prétendu culte organisé dans ses plus minces détails par le fondateur du positivisme, Auguste Comte; mais une doctrine qui n’a ni légende, ni révélation, ni dogmes, ni symboles, ni Dieu même, ni aucun des caractères historiques qui font une véritable religion, ne peut recevoir ce titre que par un insigne abus de mots. La religion de l’humanité ! n’est-ce pas là deux mots qui ne doivent pas plus se confondre que le divin et l’humain? Une morale indépendante de la théologie, rien de mieux; mais un culte sans Dieu est un non-sens. La secte des mormons se fonde sur une doctrine trop grossière et trop peu originale pour mériter ce nom. S’il est curieux de l’étudier au point de vue de son organisation sociale et de son développement économique, elle n’offre aucun intérêt comme société religieuse, car les superstitions dont elle nourrit l’esprit de ses adeptes, les servilités et les sensualités immorales dans lesquelles elle plonge leur âme, si l’on en croit des rapports sérieux, n’ont pas même le charme de la nouveauté. Tout cela paraît n’être qu’une édition posthume et fort triste de l’un de ces romans de la vie sensuelle qu’au moyen âge on enveloppait, comme toute chose, de mysticisme. Quant aux nombreux projets de religion qui ont pu fermenter dans certains cerveaux exaltés du XIXe siècle, il n’y a point à s’en occuper, soit qu’ils n’aient pas reçu même un commencement d’exécution, soit que les auteurs n’aient réussi qu’à former un cercle intime de rares initiés qui n’a jamais atteint les proportions d’une véritable société religieuse. On peut les retrouver dans une galerie des curiosités plus ou moins mystiques du temps.