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vécu ou plutôt végété plusieurs siècles sous le nom de paganisme au fond de populations immobiles, loin des centres connus de tout mouvement intellectuel? Quand l’idée nouvelle tient l’esprit et le cœur de l’humanité, le reste de la conquête est l’œuvre sûre et fatale du temps.

Quel tableau que l’histoire de l’avènement du christianisme pour les rêveurs de religions futures! C’est là qu’on voit ce que peut l’ardente initiative d’un petit nombre d’inspirés pour renouveler en moins de deux siècles la face du monde. Cette métamorphose fut l’œuvre non pas d’une évolution lente et progressive, mais d’une révolution qui brisa tout à coup la chaîne de la tradition, et fit entrer brusquement l’humanité dans des voies nouvelles. Une simple légende éclose dans le plus petit et le plus pauvre pays de la terre engendre la plus grande religion qui ait présidé aux destinées de la civilisation, et ce miracle se fait par la foi, par le désir, par l’amour, par les seules puissances de l’âme, malgré toutes les résistances de la tradition, de la loi, de la science elle-même. Quel exemple! quel encouragement aux ambitions religieuses !

Si de ce spectacle merveilleux on détourne les regards pour les reporter sur l’état religieux des sociétés modernes, que d’analogies propres à tenter les nouveaux apôtres? N’est-ce pas le même discrédit des dogmes religieux dans le monde savant, autrement étendu et autrement riche en vérités naturelles? N’est-ce pas la même indifférence du monde officiel, mal déguisée sous la protection qu’il croit devoir à une religion qui, sans être une institution de l’état, y tient étroitement par le lien des concordats? N’est-ce pas la même inquiétude, le même vide, le même désir, le même essor des esprits ardens, des âmes mystiques vers un nouvel objet auquel puisse s’attacher le sentiment religieux? Ce temps n’est-il pas, comme l’autre, une époque de transition, une sorte de pont jeté entre deux mondes, dont l’un montre déjà ses ruines lugubres, tandis que l’autre semble offrir aux imaginations exaltées ses grandes et riantes perspectives?

Alors faut-il s’étonner que dans cette société moderne si profondément différente de l’antiquité, en plein XIXe siècle, des tentatives de restauration chrétienne et même de religion nouvelle aient été faites par des esprits jeunes, ardens, enthousiastes, mais tout pénétrés des sentimens, des idées, des sciences, des arts, de notre temps? Le saint-simonisme n’est pas né en Orient, la terre classique des légendes et des religions; il a paru un beau matin à Paris, au plus ardent foyer de la civilisation européenne, ayant pour berceau la grande école des sciences exactes et de l’industrie. Les sages ont souri de cette aventure si nouvelle au milieu des