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monde religieux ? N’est-ce pas le murmure d’un ruisseau qui se perd dans le bruit des vagues de l’océan ? Comment donc le moraliste et l’historien de notre temps n’éprouveraient-ils pas un sentiment d’ironique dédain pour l’utopie philosophique des libres penseurs qui croiraient, avec Voltaire et les encyclopédistes, en avoir fini avec ce qu’il plaisait à ceux-ci d’appeler la superstition ? Comment ne prendraient-ils pas en pitié la sollicitude des philosophes pour l’avenir religieux de l’humanité, comme si la philosophie et la révolution du dernier siècle avaient tari pour tout le genre humain la source de la foi religieuse ? Comment surtout le monde des libres penseurs ne sentirait-il pas un profond découragement au spectacle d’une telle puissance de la religion et d’une telle faiblesse sociale de la philosophie en plein XIXe siècle ? Voilà bien les choses à la surface. Un examen plus attentif nous conduira-t-il à une autre conclusion ? Sans croire avec ses pères du dernier siècle que l’héritage des religions soit aussi facile et aussi prochain, le philosophe de notre temps, en y regardant de près, ne pourrait-il pas avoir lieu d’espérer pour un avenir plus ou moins éloigné le règne populaire de la raison et de la science ?

D’abord, dans ce prodigieux démembrement des forces religieuses du monde moderne, il faut faire une distinction. Toutes les sociétés à demi barbares, comme les pays slaves, ou immobiles depuis des milliers d’années, comme les peuples de l’Orient, comptent à peine dans les destinées de l’humanité malgré le chiffre écrasant de leurs populations. L’historien philosophe a toujours eu raison de voir surtout l’humanité dans ses véritables foyers de civilisation, et de se concentrer dans la contemplation de ces peuples si petits par le nombre, si grands par le cœur et l’esprit, qu’on nomme les Grecs et les Romains, en abandonnant à peu près tout le reste, c’est-à-dire la barbarie du nord et la décrépitude de l’Orient, à la curiosité de l’historien géographe. La même méthode est applicable à la question religieuse. Quand il s’agit de savoir où en est la foi religieuse du monde, ce qu’il y a de mieux à faire est de laisser là l’Orient barbare ou l’Orient pétrifié pour ne s’occuper que des peuples civilisés de l’Europe occidentale et de l’Amérique septentrionale ; c’est la France, l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie et les États-Unis qu’il faut surtout regarder, car le reste du monde gravite autour de ces grands astres de la civilisation universelle. Et soit que les autres peuples suivent leur direction, soit qu’ils s’ensevelissent dans l’immobilité de leur vie traditionnelle, ce n’est point chez eux que l’historien peut chercher le secret des destinées futures de l’humanité.

Même dans les sociétés les plus civilisées, tous les élémens qui