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était menacé d’une surprise, et il n’était que temps de prendre des précautions. On renforça dès lors les garnisons des places fortes de Silésie, que l’on mit en état de défense, — Le gouvernement autrichien crut devoir protester, et le fit par une note, datée du 31 mars, que le comte Karolyi remit à M. de Bismarck. La politique prussienne se trouva dès lors bien dessinée, et M. de Bismarck entra résolument dans l’action. Non-seulement il avait à lutter contre l’opinion publique, qui répugnait à la guerre, mais dans la cour de Prusse elle-même il rencontrait une opposition marquée à ses projets. On redoutait les compromissions révolutionnaires et les ébranlemens qui en seraient la suite; on tenait, par tradition autant que par conviction légitimiste, à l’alliance autrichienne; on craignait enfin une lutte inégale en soi et qui pouvait devenir plus que téméraire, si la France en prenait ombrage et se décidait à intervenir. Le roi partageait toutes ces perplexités. Esprit rigoureux, sincèrement piétiste, pénétré des principes du droit divin, Guillaume Ier hésitait à se lancer dans la voie des réformes et à rompre surtout avec un allié qui représentait en Europe le droit séculaire des monarchies. Pour convaincre le roi, il fallait lui faire croire qu’il était provoqué, et que la guerre, devenue inévitable, était commandée d’ailleurs par la mission providentielle de la maison de Hohenzollern; pour vaincre la résistance du peuple, il fallait animer le sentiment national en montrant la patrie menacée et son avenir en jeu; pour gagner l’opinion allemande, il fallait la surprendre, la dépasser même, se mettre hardiment à la tête du mouvement progressiste. Il fallait enfin assurer plus fermement la neutralité de la France et égaliser les chances de la lutte. M. de Bismarck y réussit par le traité d’alliance avec l’Italie, par la proposition de réforme fédérale et par la polémique acharnée qu’il engagea contre l’Autriche à propos des arméniens. Il y réussit, selon le mot de M. Thiers, grâce à une sagacité politique rare, servie par une audace d’exécution plus rare encore.

Il savait parfaitement que l’Autriche, qu’il accusait d’être si bien préparée, ne l’était pas, que l’Italie, en l’attaquant au sud, lui enlèverait sa liberté d’action et distrairait le meilleur de ses troupes. Il savait aussi sans doute que le gouvernement français entendait laisser à l’Italie, avec son libre arbitre, la pleine responsabilité de ses actes : en tout cas, il paraissait certain que la France ne se tournerait pas contre son ancienne alliée. L’alliance italienne offrait donc une double garantie. Le général Govone n’était venu que pour la négocier; elle fut conclue le 8 avril 1866 et tenue rigoureusement secrète. Restaient l’affaire de la réforme et celle des provocations autrichiennes. Nous allons indiquer successivement les