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d’un éclat relatif. Ce n’est pas une donnée bien neuve que celle de Fanny Lear. MM. Henri Meilhac et Ludovic Halévy ont voulu nous dessiner une figure peu attrayante et pour laquelle le théâtre contemporain montre néanmoins une certaine complaisance, celle d’une aventurière essayant de se glisser dans la société des honnêtes gens et d’extorquer la considération après la fortune. S’il fallait croire que la scène est l’image du monde, on ne pourrait voir sans quelque inquiétude le roman et le drame s’emparer de ce thème avec un acharnement si particulier. Il est vrai que nos peintres de mœurs témoignent au sujet de la réussite de ces entreprises un scepticisme rassurant. Régulièrement la perfidie est démasquée au cinquième acte, et la grande dame interlope en est pour sa courte honte. Les femmes galantes d’ailleurs ont toujours eu du goût pour les manèges de l’ambition et la comédie de l’honnêteté. Ce qui attire les écrivains de nos jours vers cette donnée scabreuse, c’est peut-être précisément l’attrait du danger. Elle exige pour être présentée sans inconvenance une dextérité, des qualités raffinées, dont on est bien aise, par le temps qui court, de faire montre. Elle a donc séduit beaucoup de gens, et, à force d’être maniée par des mains habiles, elle a perdu beau- coup des séductions de l’audace et du piquant de la nouveauté.

Cette remarque n’a point échappé aux auteurs de Fanny Lear, et ils se sont ingéniés à relever par l’assaisonnement la saveur de cette aventure connue, à recouvrir d’un, vêtement original un sujet auquel le public. avait déjà fait trop souvent bon accueil. Ce dessein était sage; seulement ils ont voulu trop bien faire. A force de courir après l’inédit et l’inattendu, ils ont surchargé leur pièce, relégué au second plan l’idée-mère qui la leur avait inspirée, et qui lui eût donné de la cohésion et de l’harmonie. Toute une végétation d’épisodes parasites se développe, comme des branches gourmandes, sur le tronc principal, et en épuise la sève. La pièce, trop touffue au commencement, s’achemine en 4gzag vers une conclusion étranglée, appauvrie, qui ne réveille point par un dénoûment vigoureux l’attention éparpillée du spectateur.

L’héroïne principale, cette Fanny Lear qui donne son nom à l’ouvrage et qui devrait le remplir et le dominer, est absente de la scène pendant deux grands actes et demi. Son nom même est à peine prononcé. De temps en temps il résonne comme par hasard au milieu des mille péripéties d’une intrigue encombrée et confuse. Pendant cette laborieuse exposition, deux ou trois sujets de pièce se laissent successivement apercevoir et s’évanouissent. Ces motifs accessoires au reste ne manquent pas de grâce : souvent une touche fine, une veine d’ingénieuse invention, des scènes au dialogue vif, font penser à ce petit acte spirituel et distingué que M. Meilhac nous a autrefois donné et qui s’appelle les Curieuses. Il y a là, par exemple, une situation fort invraisemblable, mais qui n’en contient pas moins la matière d’un amusant vaudeville,