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d’instinct à sacrifier toutes les garanties possibles à une idée fixe, à une forme préférée de gouvernement, à une théorie préconçue. Et si ce n’est cela, que peut signifier aujourd’hui cette union démocratique qu’on oppose à l’union libérale ? On s’allie d’habitude, on unit ses forces pour obtenir ce qu’on n’a pas, et en politique on va au plus pressé. Est-ce la démocratie qui est en péril aujourd’hui ? Mais elle règne en souveraine ; elle est l’essence de la société française, et elle est tellement passée dans notre sang, dans nos mœurs, dans nos institutions, qu’elle ne peut plus être en question. La France moderne, qu’est-ce autre chose qu’une vaste et puissante démocratie ? Le gouvernement lui-même n’est point d’un antre avis, et il considérerait comme une injure qu’on ne vît pas en lui le plus parfait démocrate. S’il n’a pas couvert la France de prospérité et de gloire, ce n’est point en vérité parce qu’il a été trop peu démocratique. Si la France a souffert dans ses intérêts comme dans ses instincts les plus élevés, c’est par l’absence de liberté, et dès lors n’est-il pas naturel que tous les esprits sincères se rallient sur ce terrain de la liberté à reconquérir, qu’ils forment ce qu’on appelle aujourd’hui l’union libérale ? Ce qui fait la supériorité de l’union libérale sur l’union démocratique, c’est que l’une dit ce qui nous manque et ce qu’elle veut, tandis que l’autre laisse entendre implicitement que la liberté ne lui suffit pas, qu’elle poursuit autre chose encore. Elle ne dit rien ou elle en dit trop, et elle est si habile qu’elle préfère le succès d’un candidat officiel au succès d’un candidat simplement libéral.

Cette distinction n’a rien de chimérique, c’est la question du moment. On sait ce que c’est qu’un démocrate, on ne sait plus ce que c’est qu’un libéral, disait récemment un bel esprit du parti démocratique, et il croyait sans doute trancher la question. C’est plutôt le contraire qui est vrai. On sait ce que c’est qu’un libéral, un vrai et sincère libéral ; on sait qu’il demande la liberté pour tous, afin que la raison publique puisse exercer son empire, afin que toutes les idées subissent le contrôle de la discussion et que les minorités despotiques ne puissent pas s’imposer par subterfuge ou par violence, afin que l’équité puisse s’introduire dans les rapports des peuples comme dans les rapports des hommes, par le progrès naturel d’une civilisation de plus en plus épurée. Qu’est-ce qu’un démocrate ? C’est apparemment un partisan de la démocratie, dira-t-on ; mais qu’est-ce que la démocratie ? Ah ! voilà justement où la confusion commence. Voilà la question difficile à résoudre ; elle vient de s’agiter pendant quelques jours dans toute sorte de congrès, en Allemagne, à Stuttgart, à Nuremberg, mais surtout en Belgique, à Bruxelles, où l’Association internationale des travailleurs tenait récemment ses assises, et en Suisse, à Berne, où le congrès de la paix vient de se réunir. A défaut des congrès diplomatiques, qui n’ont pas de bonheur depuis quelques années, et qu’on ne peut même arriver à constituer, quoique la