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rage devant l’insurrection qui éclatait tout à coup au fond de l’Espagne, à Cadix. Alors la reine s’est hâtée d’appeler à son aide le général José de la Concha, à qui elle avait déjà offert le pouvoir ; mais tout avait singulièrement changé en un mois, et par le fait depuis cette première heure que reste-t-il au-delà des Pyrénées ? Une royauté menacée de disparaître à Saint-Sébastien, une dictature de dévoûment exercée à Madrid par un général de bonne volonté appelé trop tard, et une insurrection grandis- sante, qui tient déjà l’Andalousie, rayonnant de toutes parts et envelop- pant l’Espagne de jour en jour. Quant au ministère qui a eu le triste sort de conduire l’Espagne à cette extrémité, qu’est-il devenu ? Ah ! celui-là, on ne sait plus où il est passé ; il a disparu au premier souffle. M. Gonzalez Bravo a quitté Saint-Sébastien ; les autres ministres qui se trouvaient encore à Madrid quand le général Concha y est arrivé ont eu avec le nouveau président du conseil une entrevue de quelques instans, et ils ne l’ont quitté que pour se rendre au chemin de fer sans même passer par leur maison. Ils n’étaient plus nécessaires, à ce qu’il paraît.

On se demande au premier abord comment il se fait que la reine soit restée à Saint-Sébastien pendant que le général Concha est à Madrid, représentant seul le gouvernement. C’est là au fond le côté sensible et assez désespérant de cette situation sans issue. La reine, il est vrai, a voulu plusieurs fois partir pour Madrid ; tout était prêt, elle était même en wagon, et chaque fois elle s’est arrêtée. Que s’est-il passé ? Est-ce, comme on l’a dit, parce que le général Concha mettait certaines conditions au voyage royal ? Le général Concha, si nous ne nous trompons, n’a fait aucune condition, ce n’était pas trop le moment. IL s’est borné à dire que Madrid était tranquille et que la route était libre, sans presser la reine d’arriver ou de rester ; mais il est bien possible que des amis clairvoyans et dévoués, désirant le succès du général Concha, aient fait sentir à la reine qu’elle devait se rendre seule à Madrid, qu’elle devait notamment renoncer à se faire accompagner de son intendant, M. Marfori, qui est, à ce qu’il paraît, un personnage essentiel dans cet imbroglio tragique, et la reine a préféré rester à Saint-Sébastien. Elle aurait vu, dit-on, dans ce fait de partir sans son intendant l’aveu humiliant de tout ce qu’on répétait contre elle, et elle n’a pas vu que rester à Saint-Sébastien pour cette cause, c’était un autre genre d’aveu. Elle n’a pas vu surtout que rester éloignée de Madrid dans une telle situation, au moment où elle demandait à ses défenseurs de combattre pour elle, c’était inspirer une médiocre confiance, et qu’une royauté confinée obscurément à une frontière au moment du péril était une royauté qui s’abandonnait, qui se condamnait elle-même. Pour le moment donc, le général Concha est resté seul à Madrid, et il a fait ce qu’il a pu. Il a rassemblé quelques troupes, il à envoyé Pezaela en Catalogne, Calonge à Santander, Pavia en Andalousie ; enfin il a fait face un peu de tous côtés dans la mesure