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éveil contre les convoitises, qu’elles attribuaient trop facilement à leur ancienne métropole, témoignaient de susceptibilités parfois exagérées. Quelque sensible que fût leur amour-propre national, elles n’allaient pourtant pas encore jusqu’à se croire en état de résister heureusement ni à l’Espagne ni à toute autre nation européenne, et celles-ci, toujours disposées d’ailleurs à donner à leur intervention un caractère de protection qu’elles croyaient profitable à ces états naissans, ne pensaient pas non plus avoir à rencontrer d’autres difficultés que celles qui résulteraient de la dépense et de l’éloignement. C’est ainsi que, dès 1860, l’Espagne fut amenée à parler d’une expédition contre la république du Mexique et d’une intervention dans les affaires intérieures de ce pays. Les troupes espagnoles mirent à devancer les deux autres contingens alliés à la Vera-Cruz une précipitation qui ne fut pas peut-être sans influer défavorablement sur la suite de l’entreprise. Quand après la rupture de la Soledad l’Espagne renonça à continuer l’expédition jusqu’à Mexico, c’est que l’augmentation du contingent français lui avait enlevé l’espoir de diriger l’intervention. Au reste, au moment où elle abandonnait le Mexique, elle rentrait en possession de Saint-Domingue. Appelée par un des nombreux chefs de partis qui s’y disputent constamment le pouvoir, l’Espagne avait cru facilement que la population aspirait à rentrer sous son autorité. D’un trait de plume, la réincorporation de Saint-Domingue à la monarchie fut prononcée. Les soldats espagnols occupèrent le pays; mais celui-ci ne se montra pas disposé à renoncer à son indépendance, et après trois ans l’Espagne renonçait à une occupation coûteuse et contestée dont le maintien semblait n’offrir que des avantages problématiques. L’attention des États-Unis se tournait vers l’île d’Haïti.

Insuccès au Mexique, insuccès à Saint-Domingue, tel était en 1864 le résultat des tentatives de l’Espagne en Amérique. La popularité du gouvernement devait en souffrir. La reine, dans son message aux chambres, ne parla qu’en termes vagues de l’évacuation de Saint-Domingue. Où chercher une revanche? Par quels moyens rétablir le prestige que la mère-patrie tenait à conserver vis-à-vis de ses colonies émancipées? Il se trouva qu’elle avait de nombreux griefs à faire valoir contre le Pérou. Le 14 avril, une escadre espagnole s’abattit sur les îles Chinchas. Ce petit groupe d’îles, faisant partie du territoire péruvien, contient d’abondans dépôts de guano dont la vente fournit au trésor de la république un de ses plus importans revenus. En 1863, le prix de la vente totale du guano du Pérou, sorti pour la plus grande partie des Chinchas, avait atteint le chiffre de 65 millions de francs. L’occupation de ces îles causait donc un