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qui sont presque planes. L’idée d’unité, l’idée de rondeur, naissent cependant dans l’esprit; mais modifiez les circonstances familières de ces phénomènes, croisez deux doigts et appuyez-les légèrement sur la bille de façon à la faire rouler un peu à droite et à gauche. Vous croirez toucher deux billes au lieu d’une, et la sensation restera très nettement double, lors même que vous saurez, que vous verrez qu’il n’y a entre vos doigts qu’un seul objet. Quelque chose de semblable se passe dans les yeux : les deux images rétiniennes peintes par un objet sont distinctes, bien plus, elles ne sont jamais tout à fait semblables. On peut facilement s’en convaincre en tenant un doigt à quelque distance du visage et en fermant un œil, puis l’autre. Dans les deux cas, le doigt levé ne cache point les mêmes objets. Un corps apparaît toujours à chacun des yeux sous une face un peu différente : les deux images sont dissemblables, et plus le corps est rapproché, moins elles se ressemblent; mais malgré ces différences, elles donnent une sensation unique. Il ne faut pas dire que les deux images se confondent : n’étant jamais identiques, elles ne peuvent tout à fait se recouvrir comme deux découpures qui auraient le même contour; mais le dualisme des impressions n’empêche pas l’unité de la sensation. Réciproquement quand deux images, deux photographies, par exemple, prises sous des angles un peu différens, frappent la rétine de façon à produire une sensation simple, nous croyons avoir devant nous un corps unique. C’est, on le sait, sur ce principe qu’est fondé l’instrument, si familier aujourd’hui, qu’on nomme le stéréoscope; on y introduit deux tableaux pareils à ceux qui s’offriraient séparément à l’œil droit et à l’œil gauche, ce qui donne aux deux yeux, quand ils regardent ensemble, l’illusion d’un tableau unique où les objets gardent le relief naturel. Léonard de Vinci a le premier fait remarquer dans son Traité de la Peinture que les deux yeux n’aperçoivent pas tout à fait le même tableau, que l’un voit un peu plus de la droite des objets, l’autre un peu plus de la gauche. N’ayant pas la même position dans l’espace, ils sont les points de vue de deux tableaux un peu différens. On devine bien en y réfléchissant, et l’expérience du stéréoscope le démontre, que l’appréciation des profondeurs, des distances, tient à ce dualisme. Si, fermant un œil, on regarde avec l’autre, on a bien, il est vrai, le sentiment des distances, mais les jugemens qu’on porte dans ce cas ne peuvent guère être dégagés des connaissances antérieures acquises par la longue expérience de la vision binoculaire. Il y a peu de tableaux d’ailleurs où il n’y ait point des lignes qui servent de mètre pour l’appréciation des profondeurs; nous sommes si familiers avec la taille des hommes et des animaux, la hauteur des arbres, des édi-