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toutes les harmoniques. L’impression visuelle est une impression synthétique, elle n’apprend rien sur la composition des couleurs : or il ne faut point croire que cette composition soit chose de peu d’importance. Deux tons rouges ou verts identiques pour l’œil, mais qui donneront dans le prisme deux spectres différens, exerceront par là même des actions chimiques, calorifiques, électriques, photographiques dissemblables; toutes les propriétés matérielles qui sont représentées par ces mots restent donc perdues pour l’œil. Nous jugeons les tons en bloc, sans les décomposer : il y a bien peu de personnes qui soient familières avec les finesses et les gradations de la couleur. Un savant anglais, Thomas Young, a cependant prétendu que l’impression lumineuse est toujours scindée en trois parts, que l’œil possède trois classes de fibres nerveuses, les premières sensibles au rouge, les secondes au vert, les troisièmes au violet. Nous n’avons assurément point conscience d’une telle scission, mais l’oreille n’a pas non plus ordinairement conscience de la résolution d’un son en harmoniques. Jusqu’ici aucune observation anatomique n’est venue à l’appui de la théorie de Young, au moins en ce qui concerne l’homme, car il paraît que, chez certains oiseaux et chez des reptiles, un anatomiste allemand, Max Schultze, a réussi à découvrir à la surface rétinienne des baguettes ayant des terminaisons les unes rouges, les autres vertes. En faveur de la théorie de Young, on invoque aussi certaines maladies graves de l’œil; il arrive par exemple qu’on puisse devenir tout à fait aveugle au rouge, tout en continuant à voir le vert, le jaune et le bleu; il semblerait alors qu’une classe des fibres sensitives fût paralysée, tandis que les autres conservent encore leurs vertus ordinaires. Quoi qu’il en soit, l’œil n’analyse pas les couleurs à la façon du prisme, et, s’il y distingue des parties élémentaires, il n’en distingue sans doute que trois. Il faut donc qu’il reconnaisse les corps à l’aide des impressions simples que reçoit la rétine; mais ces impressions du moins sont-elles constantes et invariables tant que les corps ne varient pas eux-mêmes? Non, car elles ne dépendent pas seulement de l’état physique des corps, elles dépendent aussi de la nature de l’éclairement auquel ils sont soumis. Les couleurs auxquelles nous sommes accoutumés sont celles qui se produisent dans la lumière blanche ou solaire; tout autres sont les couleurs et les oppositions de tons au clair de lune, sous des faisceaux électriques, aux reflets de flammes diverses. Tout éclairement nouveau nécessite en quelque sorte une nouvelle éducation de l’œil. Cette éducation se fait pourtant assez facilement; l’inhabileté même où nous sommes à bien goûter les délicatesses les plus exquises de la couleur nous habitue à dis-