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Elle y aboutit de même par une autre voie. L’emploi de la balance, instrument d’une nature mathématique et dont les mouvemens sont liés à la loi universelle de l’attraction, a démontré que dans les transformations chimiques des corps rien ne se crée, rien ne se perd. Il en résulte que la somme des élémens matériels est constante, et, comme il est impossible de concevoir une limite à l’univers, cette somme est infinie. Ainsi les aspects si variés que présente la matière consistent uniquement dans les formes qu’elle revêt tour à tour suivant les combinaisons de ses élémens chimiques; mais la chimie n’atteint pas la substance des choses, laquelle échappe à l’observation : les corps simples de la chimie ne sont donc eux-mêmes que des formes plus ou moins élémentaires dont l’agglomération produit les composés. Si par la théorie des équivalens ces formes sont un jour ramenées à l’unité, le chimiste pourra en induire avec quelque raison l’unité substantielle de l’univers. Les observations encore récentes de MM. Kirchhoff et Bunsen et celles qu’elles ont suscitées depuis ont étendu au monde sidéral les analyses chimiques et permis de reconnaître dans le soleil plusieurs élémens de la terre; ce fait s’accorde avec la théorie astronomique de notre planète. D’un autre côté, le long et consciencieux examen fait en Allemagne d’un grand nombre d’aérolithes a, dit-on, fait voir ces matières composées d’un grand nombre de globules ayant le plus souvent deux pôles aplatis; on en a conclu qu’ils ont été autrefois désagrégés, fluides, et ont eu leur rotation particulière. Par là les comètes, dont l’étendue est quelquefois de plusieurs millions de lieues et le poids de quelques kilogrammes, rentrent de plus en plus comme matière cosmique dans l’unité chimique de l’univers.

Nous ne pousserons pas plus loin ces résumés : on remarquera seulement que, si par l’emploi de la balance la chimie tend vers l’unité, elle n’aboutit qu’à des chiffres, tandis que les corps qu’elle analyse sont des formes visibles, par conséquent d’une nature géométrique. C’est quand l’analyse aura atteint l’unité de figure dans les corps simples qu’elle aura résolu tout le problème. Platon et les pythagoriciens avant lui avaient compris cette nécessité, et professaient là-dessus une théorie que l’on trouve exposée dans le Timée; mais elle était tout idéale et abstraite, et ne reposait sur aucune donnée expérimentale. Aujourd’hui la science ne procède plus par intuitions; elle n’avance qu’en appuyant chacun de ses pas sur des observations solides, et nous voyons clairement qu’elle refait avec des procédés plus analytiques l’œuvre que les Hellènes avaient ébauchée avant nous. Or déjà ceux-ci étaient à l’égard des Aryas d’Asie ce que nous sommes par rapport à eux-mêmes : la science croît donc par périodes successives, et la théorie religieuse a été l’expression de l’une d’elles.