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chisme est le dernier mot. Le sauvage ne voit pas dans son fétiche un symbole, c’est-à-dire un moyen de rappeler à son esprit une notion abstraite ou idéale : le fétiche est son dieu, dieu de race quelquefois, plus souvent dieu de famille, presque toujours dieu personnel et que chacun se taille comme il l’entend. Toutefois il est évident que, si cet homme n’avait pas jeté quelque regard pensif sur la nature qui lui apporte ses joies et ses maux, et n’avait pas cru saisir en elle des forces invisibles et souveraines, il n’aurait pas eu l’idée de condenser en quelque sorte toute la puissance de l’univers dans un morceau de bois, dans une pierre, dans quelque reste d’un tissu grossier. Il a donc commencé comme l’Arya : seulement sa faculté d’analyse était très bornée; il s’est arrêté dès le premier pas, et il est retombé dans la matière, d’où un élan spontané semblait l’avoir fait sortir.

Les vieilles religions chinoises et tartares étaient certainement supérieures au fétichisme, comme les hommes de race jaune sont supérieurs aux nègres et aux peaux-rouges. Les peuples de l’extrême Asie avant l’arrivée du bouddhisme s’étaient donné pour doctrine un polythéisme qui existe encore, et qui ne ressemble point à celui des Indiens, des Germains et des anciens Grecs, car les peuples jaunes ont regardé le leur comme le dernier mot de leur religion. Chez ces autres peuples, les dieux étaient l’héritage que leur avaient légué leurs ancêtres dans un temps où l’on en était encore à la première étape de la théorie. On peut regarder comme établi que les migrations helléniques ont quitté l’Asie centrale avant l’époque du Véda. Celles du nord-ouest de l’Europe l’avaient probablement quittée plus tôt encore, à une époque où la pluralité des forces divines était la croyance commune, mais provisoire de notre race. Il en avait été de même des Latins; mais lorsque se produisit la grande scission qui sépara les derniers Aryas en deux groupes, dont l’un prit sa route vers l’Inde et l’autre vers le sud-ouest, les uns et les autres étaient sur le point d’atteindre au bout de la méthode, et touchaient au dogme de l’unité. Toutefois il fallut encore toute la période du Véda pour que les Indiens s’élevassent jusqu’à concevoir le Brahmâ producteur du monde, et ce fut après cette période de plusieurs siècles qu’un dernier pas dans l’abstraction métaphysique les conduisit à cet autre Brahmâ, neutre, absolu et inactif, unité supérieure à l’être, à la puissance, et à laquelle « l’univers est suspendu comme une rangée de perles à un fil. » Un travail tout semblable de la raison analytique fut accompli par les Aryas du sud-ouest qui furent les Iraniens, c’est-à-dire les Mèdes et les Perses. Après s’être arrêtés pratiquement à ce qu’on a nommé le dualisme d’Ormuzd et d’Ahriman, dualisme qui est en réalité