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velopper, et y filent leur cocon verdâtre, assez difficile à discerner au milieu de feuilles qui ont presque la même couleur que lui. Dès qu’on a pu apprécier en France les avantages qu’offre l’éducation du yama-maï, il a rapidement fait abandonner les essais d’élevage d’autres bombyx du chêne qui avaient été tentés dans ces dernières années avec des succès plus ou moins douteux.

C’est en 1861 que M. Duchesne de Bellecourt, consul-général au Japon, envoya en France les premiers œufs de l’attacus yama-maï ou bombyx du chêne du Japon. L’éclosion eut lieu au Muséum d’histoire naturelle en mars ; mais on ignorait alors les habitudes et le régime de ces insectes, et l’on ne sut comment nourrir les jeunes chenilles. Elles refusaient toutes les plantes vertes qu’on leur offrait, et mouraient de faim les unes après les autres. Dans les premiers jours d’avril, on vit l’une d’elles attaquer un jeune bourgeon de chêne qui se trouvait par hasard à sa portée. Ce fut une indication que l’on s’empressa de mettre à profit. Une chenille tardivement éclose fut transportée à Passy et nourrie de feuilles de chêne. On en obtint un papillon femelle. Ce papillon était magnifique ; il avait quinze centimètres d’envergure, et ses ailes offraient toutes les nuances du jaune d’or, du gris et du fauve intense. Il servit à M. Guérin-Menneville pour déterminer l’espèce. Deux années après, M. Pompe Van Meederwoort, médecin de la marine néerlandaise, rapporta du Japon une petite provision d’œufs de yama-maï, et la partagea en trois parts, l’une pour son pays, l’autre pour la Société d’acclimatation de France, la troisième pour un de ses amis, qui confia le soin de faire éclore les jeunes chenilles à M. Guérin-Menneville. Telle est l’origine de tous les bombyx yama-maï qui sont en France. Le nombre en est déjà considérable, des magnaneries importantes fonctionnent, cette soie entre dans le commerce et y reçoit bon accueil. Tout porte à croire que la fabrication de ces tissus nouveaux ne tardera point à prendre rang parmi les industries nationales. Ce résultat, s’il venait à se réaliser, ouvrirait des perspectives nouvelles à l’activité manufacturière de plusieurs des régions de la France les plus arriérées au point de vue commercial. Elles trouveraient les élémens d’une prospérité inattendue dans les forêts qui y paralysent maintenant l’essor de la vie industrielle. Le bombyx du mûrier, à peine guéri des épidémies qui l’ont décimé, se trouverait avoir à lutter contre une sérieuse concurrence. Il n’y a pas là du reste de quoi alarmer les pays séricicoles. Le premier effet de cette abondance de matière textile serait de multiplier le nombre des consommateurs plus rapidement encore que ne s’accroîtrait la production. Le bien-être général y gagnerait en fin de compte. C’est une chose après tout moins singulière et moins rare