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social, nous y trouvons l’expression des sentimens et des désirs de la classe ouvrière. Sans doute nous avons pu signaler, chemin faisant, des tendances fâcheuses, et retrouver les vestiges des idées qui nous ont menés jadis à la guerre civile; mais devient-on sage en un seul jour? Et puis n’est-ce pas une œuvre de pédanterie que de trop prêcher la sagesse absolue à ceux à qui elle est le plus difficile? En somme, si nous laissons de côté certaines manifestations contraires à la liberté du travail, si nous nous attachons surtout aux vœux formels qui résument les demandes des délégations, nous ne pouvons manquer d’y reconnaître beaucoup de tact et de réserve. Cela est si vrai que plusieurs de ces vœux ont reçu satisfaction dans le courant même de cette année, et que plusieurs autres seront sans doute satisfaits dans la prochaine session législative. Il est surtout une idée qui paraît avoir fait son chemin parmi les ouvriers. Ils ne demandent plus que l’état soit le grand distributeur du travail et de la richesse; ils sentent bien que leur prospérité ne dépend que d’eux-mêmes, ils se bornent à désirer qu’on supprime les obstacles artificiels qui peuvent gêner leur libre activité. Qu’on coupe leurs lisières, ils se chargent de faire acte d’hommes. Ils ne montrent pas sans doute aujourd’hui une grande tendresse pour leurs patrons; mais cela viendra peut-être avec le progrès des temps, et en attendant que peut-on opposer à leurs prétentions quand, au nom des droits que leur confère le suffrage universel, ils demandent à traitera leurs risques et périls sur le pied d’égalité avec les chefs d’industrie? Qu’il soit utile d’atténuer un antagonisme dont l’industrie souffre, ils le reconnaissent les premiers, et ils proposent même des moyens pour y arriver. Ce ne sont pas, il est vrai, les plus pratiques; nous avons vu qu’il est un autre procédé dont ils parlent peu et qui paraît cependant beaucoup plus propre à la conciliation des intérêts; mais l’adoption d’un pareil système dépend au moins autant des patrons que des ouvriers. Ce sont là des questions qu’une libre discussion peut éclairer, et au sujet desquelles par conséquent il importe que les ouvriers manifestent ouvertement leurs opinions. A tous ces points de vue, les rapports des délégations ouvrières restent comme un des résultats les plus intéressans de l’exposition de 1867.


EDGAR SAVENEY.